Combien de fois Bayle n’a-t-il pas changé de rôle, se déguisant tantôt en nouveau converti, tantôt en vieux catholique romain, heureux de cacher son nom et de voir sa pensée faire route nouvelle en croisant l’ancienne ! […] Bayle applique cette méthode au Père Maimbourg ; et nous, au milieu de tous ces ouvrages si bigarrés de pensées, de ces ouvrages pareils à des rivières qui serpentent, nous appliquerons la méthode à Bayle lui-même, nous occupant de sa personne plus que des objets nombreux où il se disperse126. […] Une des conditions du génie critique dans la plénitude où Bayle nous le représente, c’est de n’avoir pas d’art à soi, de style : hâtons-nous d’expliquer notre pensée. Quand on a un style à soi, comme Montaigne, par exemple, qui certes est un grand esprit critique, on est plus soucieux de la pensée qu’on exprime et de la manière aiguisée dont on l’exprime, que de la pensée de l’auteur qu’on explique, qu’on développe, qu’on critique ; on a une préoccupation bien légitime de sa propre œuvre, qui se fait à travers l’œuvre de l’autre, et quelquefois à ses dépens. […] Quand on veut se dire que rien n’est bien nouveau sous le soleil, que chaque génération s’évertue à découvrir ou à refaire ce que ses pères ont souvent mieux vu, qu’il est presque aussi aisé en effet de découvrir de nouveau les choses que de les déterrer de dessous les monceaux croissants de livres et de souvenirs ; quand on veut réfléchir sans fatigue sur bien des suites de pensées vieillies ou qui seraient neuves encore, oh !
Cette édition de Cowper et cette biographie par Southey, et de plus l’édition donnée par le révérend Grimshawe (1850), fournissent les documents d’une étude complète, ou, pour mieux, dire, cette étude est déjà faite par Southey lui-même : mais la correspondance de Cowper, qui égale en mérite et en pensée ses œuvres poétiques, et qui est encore plus naturelle et surtout plus aisée, offre une lecture où chacun peut choisir sa matière de réflexion et ses coins d’agrément. […] À le voir, cependant, tel qu’il était d’abord et qu’il dut être avant les accidents qui rembrunirent ses pensées, il paraît avoir eu bien des heures de gaieté, de joie, et de la plus gracieuse sociabilité ; il excellait aux jeux de son âge, et particulièrement à la crosse et au ballon. […] C’était un état d’abattement, de désespoir et de terreur qui le laissait en proie aux plus sinistres pensées et aux images lugubres. […] On s’est demandé s’il n’avait eu à aucun temps l’idée d’épouser Mme Unwin devenue veuve ; il ne paraît pas qu’une telle pensée se soit jamais présentée à leur esprit ni à leur cœur à l’un ni à l’autre : il n’était pour elle qu’un fils aîné et un malade, dont elle savait toutes les souffrantes délicatesses, et au service, à la surveillance duquel, en devenant plus seule, elle s’était tout entière consacrée ; elle n’était pour lui que la plus tendre et la plus intelligente des mères. […] Le physique pourtant n’était pas de force encore à supporter une longue attention ; et il compare le réseau des fibres de son cerveau à une toile d’araignée : une seule pensée obstinée qui s’y loge ébranle et compromet toute la contexture.