Mes lectures allemandes m’entretenaient dans ces pensées. […] Ce livre néanmoins lui déplut ; elle me l’arracha des mains ; elle sentait que, si ce n’était lui, c’étaient ses pareils, qui étaient les ennemis de sa plus chère pensée. […] cette pensée serait pour moi trop cruelle. […] Croyez bien qu’il faut que j’aie été rudement éprouvé, pour m’être arrêté un instant à une pensée qui me paraît plus affreuse que la mort. […] Pardonnez-moi, monsieur, ces pensées, qui doivent vous paraître coupables.
M. de Lamartine a jeté dans ses admirables chants élégiaques toute cette haute métaphysique sans laquelle il n’y a plus de poésie forte ; et ce que l’âme a de plus tendre et de plus douloureux s’y trouve incessamment mêlé avec ce que la pensée a de plus libre et de plus élevé. […] Nos poètes et nos artistes doivent donc s’attacher uniquement à plaire aux esprits d’élite ; c’est même le plus sûr moyen d’avoir un peu plus tôt ou un peu plus tard le succès populaire : car la pensée de quelques hommes supérieurs finit toujours par diriger la foule. […] Mais Voltaire, si inventif dans ses conceptions, si intéressant dans ses fables, si neuf par les pensées, est resté, comme poète et comme écrivain, bien au-dessous de Corneille et de Racine. […] La première pensée du ministre de l’intérieur a été pour Pichat mourant ; son premier soin a été de délivrer Guillaume Tell des chaînes de l’ancienne censure qui l’opprimait comme un autre Gessler ; pour la première fois, depuis bien longtemps, on a vu le pouvoir aller au-devant du talent : les Muses sont filles de mémoire, elles ne l’oublieront pas. […] Comme si on pouvait séparer l’idée de l’expression dans un écrivain ; comme si la manière de concevoir n’était pas étroitement unie à la manière de rendre ; comme si le langage enfin n’était qu’une traduction de la pensée, faite à froid et après coup !