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635. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Guizot, dans le calme et la dignité de sa retraite, continue de régler sur tous les points les affaires de sa pensée et de sa conscience. […] Sa pensée va plus loin, mais il ne s’y livre point avec trop de promptitude, il ne s’y obstine pas : il sait que rien n’est sûr, qu’indépendamment de la rareté de ces débris qui peuvent sembler les témoins d’un des états du monde disparus, sa pensée à lui-même est un instrument bien imparfait, qu’il lui suffirait d’un sens de plus ou de moins, ou du moindre degré changé dans la perspicacité de l’un des cinq sens, pour que tout lui parût sous un jour tout autre. […] Au contraire, l’intérieur de l’esprit et de la pensée de mon savant me paraît fort ressembler à l’intérieur de sa chambre. […] Vous avez mis votre pensée en regard de la mienne avec une habileté consommée en même temps qu’avec une parfaite courtoisie. […] J’admets comme un droit naturel et universel la liberté de la pensée ; mais, parce qu’elle est essentiellement libre, elle n’est pas indifféremment vraie, et ceux-là seuls qui pensent comme moi sont, pour moi, dans la vérité et appartiennent à la même société intellectuelle, c’est-à-dire à la même Église que moi.

636. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Rien donc de plus piquant et de plus instructif que d’étudier dans leurs rapports ces deux figures originales, à physionomie presque contraire, qui se tiennent debout en sens inverse, chacune à un isthme de notre littérature centrale, et, comblant l’espace et la durée qui les séparent, de les adosser l’une à l’autre, de les joindre ensemble par la pensée, comme le Janus de notre poésie. […] Je lis, à ce propos, dans un ouvrage inédit, le passage suivant, qui revient à ma pensée et la complète : « Lamartine, assure-t-on, aime peu et n’estime guère André Chénier : cela se conçoit. […] Et comme si l’aspect de l’hypocrisie libertine avait rendu Regnier à de plus chastes délicatesses d’amour, il nous y parle, en vers dignes de Chénier, de … la belle en qui j’ai la pensée D’un doux imaginer si doucement blessée,  Qu’aymants et bien aymés, en nos doux passe-temps, Nous rendons en amour jaloux les plus contents. […] De plus, prévoir que mes amis auraient lu avec déplaisir ce que j’ai toujours eu dessein d’écrire m’eût été amer… » Suivant André Chénier, l’art ne fait que des vers, le cœur seul est poète ; mais cette pensée si vraie ne le détournait pas, aux heures de calme et de paresse, d’amasser par des études exquises l’or et la soie qui devaient passer en ses vers. […] Pour juger André Chénier comme homme politique, il faut parcourir le Journal de Paris de 90 et 91 ; sa signature s’y retrouve fréquemment, et d’ailleurs sa marque est assez sensible. — Relire aussi comme témoignage de ses pensées intimes et combattues, vers le même temps, l’admirable ode : Ô Versailles, ô bois, ô portiques !

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