Nous voudrions nous livrer à cet examen avec le respect qui est dû à la haute intelligence de l’auteur, mais aussi avec la liberté qui est le devoir de la science et de la pensée. […] Il demande au christianisme d’accepter les conditions nouvelles dans lesquelles la société est entrée depuis trois siècles, et qui sont la science libre, la conscience libre, la pensée libre. […] Liberté de conscience et liberté de pensée, avec leurs conséquences, sont des principes que la société moderne n’examine plus, mais auxquels elle adhère avec une passion incroyable, avec la même passion que les croyants apportent à soutenir leurs symboles. […] Telle est, dans ses traits essentiels, la, pensée fondamentale de M. […] Si elle ne résout pas ces problèmes moraux qui assiègent la pensée de l’homme, elle peut être une poésie ; elle n’est pas une religion.
A lui, ce qu’on demande, au contraire, c’est sa pensée sur un auteur ou sur un ouvrage, sa pensée, soit qu’elle soit faite de principes ou qu’elle le soit d’émotions ; ce qu’on lui demande, ce n’est pas une carte du pays, ce sont des impressions de voyage ; ce qu’on lui dit, c’est : « Vous vous êtes rencontré avec M. […] Vous désiriez savoir quel effet ferait sur vous Montaigne, et vous ne savez pas si ce qui vous vient à l’esprit, en lisant Montaigne, vous vient en effet de Montaigne ou de Nisard ; vous vouliez connaître votre sensibilité modifiée par Montaigne ; vous connaissez une modification faite peut-être par Montaigne, mais préparée par Nisard ; vous connaissez quelque chose en vous qui est de Montaigne, de Nisard et de vous-même ; il y a un terme de trop ; ce n’est pas lire Montaigne que de le lire à travers Nisard, que de le lire en y cherchant instinctivement, et en y trouvant forcément, moins les pensées de Montaigne que les pensées que Montaigne a inspirées à Nisard ; et pour lire Montaigne vraiment, ce qui s’appelle lire, il faudrait d’abord que vous missiez Nisard en total oubli. […] Le critique est cause que le lecteur fait des lectures méditées après avoir fait des lectures abandonnées ; le critique est cause que le lecteur fait des lectures dans un champ plus vaste de pensées ; le critique est cause que le lecteur, après avoir lu l’auteur tête-à-tête, le lit à trois ou à quatre ; il ne faudrait pas étendre indéfiniment ce cercle et comme multiplier l’auditoire autour de l’auteur ; mais il faut, au bon moment, rompre le tête-à-tête. […] Énergiquement, doctoralement, quelques-uns disent : « Ne jamais demander à l’enfant que sa pensée personnelle, que l’impression qu’il a reçue et dont il a dû, seulement, se rendre compte, dont il a dû, seulement, prendre possession, en lisant les Femmes savantes, Britannicus ou l’Art de conférer.