« Puis il se demanda : « S’il était le seul qui avait eu tort dans sa fatale histoire ; si d’abord ce n’était pas une chose grave qu’il eût, lui travailleur, manqué de travail, lui laborieux, manqué de pain ; si, ensuite, la faute commise et avouée, le châtiment n’avait pas été féroce et outré ; s’il n’y avait pas plus d’abus de la part de la loi dans la peine qu’il n’y avait eu d’abus de la part du coupable dans sa faute ; s’il n’y avait pas excès de poids dans un des plateaux de la balance, celui où est l’expiation ; si la surcharge de la peine n’était point l’effacement du délit, et n’arrivait pas à ce résultat de retourner la situation, de remplacer la faute du délinquant par la faute de la répression, de faire du coupable la victime et du débiteur le créancier, et de mettre définitivement le droit du côté de celui-là même qui l’avait violé ; si cette peine, compliquée des aggravations successives pour les tentatives d’évasion, ne finissait pas par être une sorte d’attentat du plus fort sur le plus faible, un crime de la société sur l’individu, un crime qui recommençait tous les jours, un crime qui durait dix-neuf ans. […] « Le propre des peines de cette nature, dans lesquelles domine ce qui est impitoyable, c’est-à-dire ce qui est abrutissant, c’est de transformer peu à peu, par une sorte de transfiguration stupide, un homme en bête fauve, quelquefois en bête féroce. […] Valjean se hâte vers la peine comme un autre se hâte pour fuir l’échafaud : il arrive au moment où l’infortuné Champmathieu est convaincu par son idiotisme d’être Jean Valjean.
VIII De ce jour la littérature, jusque-là maudite, me parut un plaisir un peu chèrement acheté, mais qui valait mille fois la peine qu’on nous imposait pour l’acquérir. […] La chemise de la femme (haletante de peine), se colle sur sa poitrine et sur ses épaules comme si elle sortait d’un bain dans la rivière. […] Je n’ai pas même voulu classer ou ranger ces volumes ; le peu de temps que j’ai à vivre ne vaut pas cette peine. […] … J’ai renoncé pour toujours à tout rôle ici-bas ; je l’ai fait sans peine, car ce rôle, je vous le dis devant Dieu, ce n’était pas ma personne, c’était ma consigne ; en quittant la scène, il n’est rien tombé de moi avec l’habit. […] Un seul mot l’explique, et c’est par là que je voulais terminer : c’est que je suis redevenu franchement et exclusivement homme de lettres ; c’est que je vis, grâce à cette passion pour la littérature, en société avec tous les hommes qui ont légué leur âme écrite à la mienne, comme nous léguerons tous une parcelle de notre âme écrite à ceux qui viendront après nous ; c’est que mon âme se distrait, s’édifie, se fortifie dans cette société des grands morts ; et c’est aussi parce que, indépendamment de ces bienfaisantes influences du travail littéraire en lui-même, je jouis de penser que ce travail, plaisir pour les uns, peine pour les autres, devoir pour moi, ne sera peut-être pas entièrement perdu pour ceux à qui je dois le fruit de mes veilles1 !