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587. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

L’abbé de Choisy, fort surpris de ce qu’il appelle la bizarrerie de M. de Montausier, mais à qui rien n’était sensible comme une désapprobation royale ou ce qui en approchait, crut là-dessus qu’il était bon de s’éclipser, et, durant deux ou trois ans, il alla vivre incognito dans un château du Berry qu’il acheta tout exprès, se faisant appeler la comtesse des Barres, jouant la comédie, s’habillant, se déshabillant, se coiffant et se mirant tout le jour, entouré de la noblesse et de la gentilhommerie du pays, curés, intendants, évêques, Mme la lieutenante générale, tous honnêtes gens qui raffolaient de lui comme d’une élégante Parisienne, et en usant sous main de telle sorte, qu’en d’autres temps il aurait pu avoir affaire au procureur du roi pour séduction de mineures. […] Basset, saisira très bien, tout à côté, et nous rendra d’une manière charmante l’art et l’esprit habile des Jésuites qui, à peine débarqués dans un endroit, au cap de Bonne-Espérance ou à Batavia, chez les Hollandais protestants, se hâtent d’établir leur observatoire et de se faire bien venir en mettant du premier jour leur science, leurs lunettes astronomiques, au service de la curiosité populaire : « Ils vont dresser leurs machines, dit Choisy, pour au moins payer leur hôte avec un peu de Jupiter et de Mercure. » Et il ajoute comme moralité : « C’est une bonne chose, par tout pays, que l’esprit. » Pourtant, cette nature fine et mobile de Choisy a bien saisi, par éclairs, le vrai sentiment de l’inspiration apostolique. […] Si nous n’arrivons pas à Siam, nous passerons l’hiver à Surate, à Bantam, dans de beaux pays ; nous nous aimons tant ! […] Choisy se trouva même lésé par ce père et privé de certain beau présent qui aurait dû lui revenir : « Je ne sus tout cela bien au juste, dit-il, qu’après être arrivé en France ; mais, quand je me vis dans mon bon pays, je fus si aise que je ne me sentis aucune rancune contre personne. » Choisy revient plus d’une fois sur cette idée qu’il est sans rancune et qu’il n’a point d’ennemis : « Si je savais quelqu’un qui me voulût du mal, j’irais tout à l’heure lui faire tant d’honnêtetés, tant d’amitiés, qu’il deviendrait mon ami en dépit de lui. » On retrouve là encore cette nature officieuse, gentille et complaisante, et qui chercherait vainement en elle la force de haïr.

588. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Sauvez la France, sauvez le pays, lui écrivait-on ; donnez, par votre adhésion, appui et force au gouvernement provisoire ; repliez-vous vers Rouen, où est Jourdan, conservez dans la Normandie une armée à la France. — Le nom de Monk, le grand médiateur, si souvent invoqué, ne manquait pas de revenir comme exemple. Ici commença, dans l’esprit du maréchal, une lutte morale sur laquelle il faudrait lui-même l’entendre : d’un côté, un ami, un bienfaiteur, le plus grand capitaine dont il avait été de bonne heure l’aide de camp et l’un des lieutenants préférés, mais ce grand capitaine, auteur lui-même de sa ruine, qui semblait déjà consommée ; de l’autre, un pays qui criait grâce, une situation politique désastreuse dont, plus éclairé que beaucoup d’autres, il avait le secret, et dont il envisageait toutes les extrémités. […] Il remit l’ordre, rétablit les idées de justice, rendit courage à la portion judicieuse et saine du pays, et fut bientôt salué de la masse de la population comme un sauveur. […] Il se montra en même temps humain et moral, fidèle à ses principes de Lyon, en insistant pour qu’on prévînt la conspiration une fois connue, au lieu de la laisser à demi éclater comme quelques ministres l’auraient voulu Vers ces années, pour se consoler des injustices de l’opinion publique à son égard, se sentant peu de goût d’ailleurs pour tout ce qui se pratiquait à la Cour, et croyant aussi qu’il était séant à une époque de paix d’inaugurer le rôle d’une espèce de grand seigneur industriel, il conçut l’idée de fonder dans sa terre de Châtillon un vaste établissement où il assemblerait toutes les industries, et moyennant lequel il doterait son pays des innovations utiles en tous genre.

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