Elle aperçoit et rend la vie à la façon d’une vision lointaine, vaguement inexplicable et confuse sur l’horreur de laquelle elle se penche et s’apitoie ; elle médite en des hallucinations extériorisées l’infini labyrinthe du raisonnement humain, et perçoit en elle la sourde agitation des instincts, des douleurs, des passions et des rages, de tout ce qui est des nerfs et du sang ; elle est imbue de pitié, débordante d’amour pour tous ces êtres faits de péché et de souffrance, et prise alors entre son épouvante et son amour, il fallait que par un effort et une sorte de folie, pareil au coup de poing d’un exaspéré joueur d’échecs près de perdre, elle brouillât et tranchât tout dans une étrange aberration qui la fait s’incliner devant l’être même que cet acte de foi constitue l’auteur des maux dont il devient le recours. […] Et si l’on considère l’étendue et la pénétration de leur enquête, la façon neuve dont ils parlent de l’homme et à l’homme, leur art sincère et haut, la sérieuse ferveur de l’évangile de pitié qu’ils proposent, le plus déterminé partisan de l’art pour l’art peut se sentir hésiter et réfléchir, jusqu’à ce qu’il recomprenne que le problème de la société, de la vie de l’homme ne peut être résolu par le cri de passion des détracteurs d’intelligence, que l’évangile que prêchent les romanciers slaves a précédé de dix-huit cents ans les maux qu’ils dénomment, que l’enseignement fut la marque même de sa fausseté dans son emportement, que la vérité est paisible, persuade en paraissant et n’a nul besoin d’apôtres, que l’erreur seule parle violemment, que les œuvres d’art ne doivent pas tenter de tromper, qu’il leur suffit de contenir les préceptes latents et obéis, ceux-là du monde dont elles sont la lumineuse image.
Comment, dans une suite de phénomènes, pourrais-je dire que ces phénomènes sont miens, que ma douleur est mienne, que ma passion est mienne, que mon plaisir est mien, si je n’étais pas intérieurement présent à chacun de ces phénomènes, à cette douleur, à cette passion, à ce plaisir ?