Tandis qu’au moral cela se passe d’ordinaire ainsi, littérairement la poésie rentrée a d’autres détours encore. […] De même, avant l’œuvre tout à fait entamée et avancée, il y a plus d’une forme, je le crois, plus d’une issue possible à un vif esprit pour se produire et donner tout ce qu’il contient ; mais une fois la forme de l’œuvre prise ou imposée, pour peu qu’elle convienne, l’esprit s’y loge à fond et y passe tout entier. […] Le résultat, c’est qu’il n’oublie rien ; il serre si bien son réseau géographique qu’il prend tous les faits et que tout ce qui a nom y passe. […] Je compare ces marches étroites, dans certaines gorges littéraires du moyen âge, à ces défilés où l’on ne va que pied à pied ; la science ne passe plus qu’à dos de mulet son bagage ; on est bien loin des carrousels à la Louis XIV, et le char d’Olympie s’y briserait. […] Les luttes du gnosticisme se passaient au sein du Père en quelque sorte et remettaient en question Jéhovah ; celles de l’arianisme, qui viennent ensuite, s’agitent entre le Père mis hors de cause et le Fils, et comme au sein du Fils.
De Carcassonne, M. de Barante père fut envoyé préfet à Genève ; c’était passer d’une ville de province à une cité européenne et à un grand centre. […] La science originale et perçante d’un Schlegel, la digression inépuisable et spirituellement rapide d’un Benjamin Constant, faisaient déjà un beau fonds, sans compter ces hôtes de chaque jour qui y passaient, et qui, sous la baguette magique de la Muse du lieu, y revêtaient toute leur fraîcheur, y rendaient toutes leurs étincelles. […] Ce dernier, plus jeune, moins engagé, fut aussi celui qui résuma le plus nettement. « L’auteur du Discours dont il s’agit, écrivait Mme de Staël, est peut-être le premier qui ait pris vivement la couleur d’un nouveau siècle. » Cette couleur consistait déjà à réfléchir celle du passé et à la bien saisir plutôt qu’à en accuser une à soi. […] Pourtant, de cette habitude générale de continuellement juger le passé au point de vue du présent, était né en quelques esprits élevés le désir bien naturel d’une méthode contraire, où l’on irait d’abord à l’objet pour l’étudier en lui-même et en tirer tout ce qu’il contient. […] Employé bientôt dans une plus lointaine ambassade, et passé de Turin à Pétersbourg, si brillant et si flatteur que fût le succès personnel qu’il y obtint, M. de Barante n’a pas été sans éprouver durant quelques années cette tristesse de voir finir les saisons loin de son pays, loin des relations contemporaines qui furent chères et qu’on ne remplace plus.