Les femmes lui passèrent ensuite bien des choses et le crurent, en toute rencontre, sur parole, pour avoir, une première fois, si bien deviné. […] Pour exposer sa vraie théorie littéraire, il ne faudrait d’ailleurs qu’emprunter ses paroles : si je prends, par exemple, Les Parents pauvres, son dernier roman et l’un des plus vigoureux, publié dans ce journal même33, j’y trouve, à propos de l’artiste polonais Wenceslas Steinbock, les idées favorites de l’auteur et tous ses secrets, s’il eut jamais des secrets. […] Quelques paroles de cette autorité me sont nécessaires ; elles sont comme les colonnes immuables et sacrées que je tiens seulement à montrer du doigt dans le lointain, pour que notre admiration même et notre hommage de regret envers un homme d’un merveilleux talent n’aillent pas se jouer au-delà des bornes permises. […] Dans l’intervalle, on me nomme à la maîtresse de la maison ; la conversation s’engage, et quand celle des dames qui était sortie rentre, tenant le plateau à la main pour nous l’offrir, elle entend tout d’abord ces paroles : « Eh bien ! […] Il a dit quelque part d’un artiste sculpteur découragé et tombé dans la paresse : « Redevenu artiste in partibus, il avait beaucoup de succès dans les salons, il était consulté par beaucoup d’amateurs ; il passa critique comme tous les impuissants qui mentent à leurs débuts. » Ce dernier trait peut être vrai d’un artiste sculpteur ou peintre qui, au lieu de se mettre à l’œuvre, passe son temps à disserter et à raisonner ; mais, dans l’ordre de la pensée, cette parole de M. de Balzac, qui revient souvent sous la plume de toute une école de jeunes littérateurs, est à la fois (je leur en demande bien pardon) une injustice et une erreur.
Voltaire seul n’en avait pas, et sa parole vive, nette, rapide, courait comme à deux pas de la source. […] À travers quelques détails de mauvais ton où il parle de volerie et de mangeaille, comme on lui pardonne en faveur de cette vieille chanson d’enfance dont il ne sait plus que l’air et à peine quelques paroles décousues, mais qu’il voudrait ressaisir toujours, et qu’il ne se rappelle jamais, tout vieux qu’il est, sans un charme attendrissant ! […] J’ai cent fois projeté d’écrire à Paris pour faire chercher le reste des paroles, si tant est que quelqu’un les connaisse, encore : mais je suis presque sûr que le plaisir que je prends à me rappeler cet air s’évanouirait en partie, si j’avais la preuve que d’autres que ma pauvre tante Suzon l’ont chanté. […] — Nous venons là de reconnaître la première forme des pensées et presque des phrases de René, de ces paroles devenues déjà une musique et qui chantent encore à nos oreilles : Mon humeur était impétueuse, mon caractère inégal. […] Quand il nous parle ainsi, il nous convainc en effet de la sincérité de son vœu et de son regret : tant respire en toutes ses paroles un sentiment profond et vif du charme doux, égal et honnête de la vie privée !