Sa vie est le commentaire de ces paroles découragées de Brutus mourant : Vertu, tu n’es qu’un nom ! […] Il s’adresse au vaisseau qui va emporter son ami ; le mètre plaintif et tombant ajoute à l’attendrissement des paroles ; comme tous les poètes, Horace était un musicien accompli des mots. […] Voyez comme il commence sa troisième épître à Mécène, avant de se laisser glisser, comme sur une pente, à des considérations contre l’ambition, l’orgueil et le luxe : « Je vous ai promis de n’être que cinq jours à jouir de ma liberté à la campagne, et voilà que je vous ai manqué de parole pendant tout le mois d’août ! […] alors, Horace est le poète qui vous a été préparé de toute éternité pour ami ; c’est le poète de la bonne humeur, c’est l’ami des heureux, c’est le philosophe des insouciants, c’est le plus charmant causeur de cette société immortelle qui commence à Anacréon, qui passe par l’Arioste en Italie, par Pope en Angleterre, par Boileau, par Saint-Évremond, par Voltaire, par Béranger en France, et qui, supérieure en poésie et en délicatesse exquise à tous ces génies de l’agrément, vous laissera peu de choses dans le cœur, mais des paroles sans nombre de sagesse légère et de volupté intellectuelle dans la mémoire.
Il revenait un jour d’un cercle d’amis et trouva son vieil oiseau favori blotti dans sa cage avec les plumes gonflées et le regardant tristement ; Humboldt lui adressa ces mélancoliques paroles : “Quel est celui de nous deux qui le premier fermera les yeux à jamais ? ” La tristesse de ces paroles doit avoir été bien expressive, puisque son vieux valet de chambre Seiffert, effrayé dans son affection, s’empressa de détourner de semblables pensées. […] Alexandre de Humboldt ; Un Allemand, un Prussien, un homme d’une prodigieuse instruction, un voyageur en Amérique et en Europe, un écrivain, non pas de premier ordre, car sans âme il n’y a pas d’écrivain, mais un homme d’un talent froid et suffisant à se faire lire ; un homme, de plus, qui, par son industrieuse habileté dans le monde, par ses amitiés intéressées avec tous les savants étrangers, et par l’art de les flatter tous, est parvenu à les coïntéresser à sa gloire par la leur, et à se faire ainsi une immense réputation sur parole : réputation scientifique, spéciale, occulte, mathématique, sur des sujets inconnus du vulgaire ; réputation que tout le monde aime mieux croire qu’examiner ; gloire en chiffres, qui se compose d’une innombrable quantité de mesures géométriques, barométriques, thermométriques, astronomiques, de hauteurs, de niveau, d’équations, de faits, qui font la charpente de la science, et dont on se débarrasse comme de cintres importuns quand on a construit ses ponts sur le vide d’une étoile à l’autre ; espèce de voyageur gratuit, non pour le commerce, mais pour la science, au profit des savants pauvres et sédentaires à qui il ne demandait pour tout salaire que de le citer. […] « Qu’il soit permis à un frère de terminer par ces paroles, qui puisent leur charme dans la profondeur des sentiments, la description générale des phénomènes de la nature au sein de l’univers.