Dans le beau siècle dont nous parlons, ce devoir rigoureux, cet avertissement attentif et salutaire se personnifiait dans une figure vivante, et s’appelait Boileau. […] Le prestige dont parle Voltaire avait cessé, et Geoffroy, qui a le langage un peu cru, nous dit : « Il est constant que Bérénice n’a point fait pleurer à cette représentation, mais qu’elle a fait bâiller ; toutes les dissertations littéraires ne sauraient détruire un fait aussi notoire. » Talma pourtant goûtait ce rôle d’Antiochus ou celui de Titus, tel qu’il le concevait, et il en disait, ainsi que de Nicomède, que c’étaient de ces rôles à jouer deux fois par an, donnant à entendre par là que ce ton modéré, et assez loin du haut tragique, détend et repose32. […] Elle a besoin d’en parler à quelqu’un, d’épancher sa reconnaissance, de répéter en cent façons dans ses discours ce nom adoré de Titus en y mariant le sien. Pourtant, dès qu’Antiochus s’est enhardi à parler pour son propre compte, elle sait l’arrêter d’une parole vibrante et fière : on sort du ton de l’élégie ; la note tragique se fait sentir. […] L’Année littéraire (1783, tome I, page 137) constate un certain succès et en parle comme nous le ferions nous-même, en l’opposant aux succès plus bruyants du jour.
Et pourtant ces médiocres occupations, « amusant leur intelligence par des difficultés faciles » (pour parler comme fait Flaubert à propos de Binet et de ses ronds de serviette), les gonflent d’aise et d’orgueil. […] Il est vrai qu’il y en a de plusieurs sortes, et ce n’est peut-être pas de la même que je vais parler maintenant. […] Mais surmontons cette première impression, prêtons une oreille attentive et sympathique, et nous reconnaîtrons que cet enfant robuste et sain, plein de vigueur, de bonté et de courage, que cet enfant qui est déjà le grand peuple français parle aussi la grande langue française. […] Il le fait tranquillement, n’esquivant rien, n’exagérant rien, avec un désintéressement, une impartialité, une indépendance de jugement telle, que cette sorte de sacrifice ou plutôt (car il n’avait point à la sacrifier) d’oubli provisoire de la piété filiale en face de la science qui prime tout, m’a rappelé, je ne sais comment, la hauteur d’âme des vieux Romains mettant tout naturellement l’intérêt de la patrie au-dessus des affections de famille… Puis, tout à coup, après ce long, tranquille et consciencieux exposé qui n’eût point été différent s’il se fût agi d’un étranger, la voix du professeur s’altère et laisse tomber ces mots : … Moi qui vous parle, moi qui seul sais le respect et la reconnaissance que je lui dois, j’ai dû m’abstenir de les exprimer comme je les sens, autant pour être fidèle à cette modération qu’il aimait à garder en toutes choses, autant pour ne rien rire ici qui ne dût être dit par tout autre à ma place, que pour ne pas m’exposer à être envahi par une émotion trop poignante qui ne m’aurait pas laissé la liberté et la force de rendre à cette mémoire si chère et encore si présente l’hommage public auquel elle a droit. […] Il nous fait d’autant plus aimer la littérature du moyen âge qu’il en parle avec modestie.