Saint-Simon, présent à de telles paroles, et qui avec son œil de lynx lisait dans tous les plis de cet amour-propre avantageux et content de soi, content de se déployer au soleil, ne se sentait pas de colère : « Je laisse à penser, écrit-il, en une circonstance pareille, comment ce mot fut reçu venant d’un compagnon de sa sorte, élevé et comblé au point où il se trouvait. » Je doute cependant que l’éloquent duc et pair ait éclaté devant Villars, mais il rentrait chez lui outré, grinçant des dents, la tête fumante, et il couchait sur le papier toutes ses indignations contre cet homme « le plus complètement et le plus constamment heureux de tous les millions d’hommes nés sous le long règne de Louis XIV », et qui prétendait se donner comme heureux en effet sans doute, mais comme n’ayant pas atteint à toute sa fortune. […] Villars, de plus, ne méprise point son ennemi, si bas qu’il le voie d’apparence, et il apprécie Cavalier, ce paysan de vingt-deux ans à qui la nature a donné le génie et les qualités du commandement ; il n’hésite pas à conférer avec lui : « C’est un bonheur, dit-il, si je leur ôte un pareil homme. » On voit qu’il n’aurait pas hésité à en faire un de ses lieutenants dans les guerres. […] J’espère donc, monsieur, que, persuadé par mes raisons (j’en ai d’autres encore), vous voudrez bien porter Sa Majesté à honorer un autre plus digne d’un pareil emploi, et m’excuser dans le public sur quelques attaques de la goutte, qui me prit très violemment il y a un an dans cette même saison, et se fait un peu sentir présentement.
Vieilli avant l’âge, sans en être devenu plus fort contre les vices de sa jeunesse, le cœur encore mal guéri de l’amour dont il avait tant souffert, sans ressource, sans espoir, dénoncé au mépris public par son passé et par sa prison récente ; — dans de pareilles circonstances, croyant en avoir fini avec la vie, et comme s’il eût déjà été étendu sur son lit de mort, il dicta le poème qui porte le titre de Grand Testament… Le Petit Testament contenait les adieux et les legs de Villon à ses amis en 1456 : Le Grand Testament renferme aussi une longue suite de legs satiriques ; mais ces legs, au lieu de constituer le fond même du poème, comme ils constituent celui du Petit Testament, n’en sont en réalité que le prétexte et que la partie accessoire. […] Rien de pareil chez Villon ; pas l’ombre d’un arbre, pas le plus petit reflet de ciel, ne fût-ce que dans le ruisseau ; jamais rien qui ressemble au cri d’Horace : O rus, quando ego te aspiciam ! […] Cet écolier aura fait, un jour, à Villon sa déclaration d’enthousiasme, et Villon l’aura reçue avec plus de sérieux qu’il n’en gardait d’ordinaire en pareil cas ; il aura même, en voyant sa candeur, ménagé assez le jeune homme pour ne pas l’initier à ses tromperies et pour n’essayer, à aucun moment, de l’embaucher dans sa troupe de mauvais garçons.