Mais songeons surtout au renversement opéré dans les conditions par le système de Law, 1716-1721, et que rien de pareil ne s’était vu jusque-là.
Anatole, le rapin, victime des heureuses dispositions qui lui faisaient, tout enfant, crayonner des bonshommes aux marges de ses livres de classe, et qui plus tard en le dispensant des lents efforts, lui interdisaient le vrai talent ; Anatole, passé de l’arrière-boutique du petit commerçant à l’atelier du peintre, virtuose né de la blague ; Anatole, gamin, bon enfant et bon camarade, à l’esprit souple, aux membres agiles, à la gaieté toujours prête, boute-en-train de toutes les parties, organisateur de toutes les charges, farceur de toutes les farces ; Anatole, garçon de ressources, précieux dans un intérieur, habile aux menus détails du ménage, sans pareil pour soigner les animaux, amuser les enfants et donner à la femme la distraction d’une cour sans danger ; Anatole, l’être sans existence propre, n’ayant pas l’entière possession de son individualité, mais s’accommodant à tous les milieux, se mêlant à tout ce qu’il traverse, attachant sa vie à celle des autres par une sorte de parasitisme naturel ; Anatole, dans ce compagnonnage qui est pour lui l’habituelle condition de l’existence, partageant successivement le lit d’un écuyer de cirque, l’atelier d’un peintre en renom et le taudis d’un sergent de ville ; Anatole, ballotté entre les hauts et les bas de l’existence, aujourd’hui jouissant de toutes les élégances de la vie, la bouteille pleine de rhum et les paquets de tabac de dix sous, demain tombant aux besognes infimes, aux métiers innomés, comme de peindre des panneaux pour un pharmacien ou de colorier des préparations anatomiques ; pauvre diable, sans amertume et sans haine, s’éveillant un matin devant cette chose lugubre : la vieillesse d’un bohème… Anatole serait entre tous les personnages des Goncourt le plus vrai, le plus amusant et le plus touchant, si l’histoire de ses malheurs n’était dépassée en intérêt et en vérité parcelle de la vie, des souffrances et de l’agonie d’un autre personnage, son ami et un peu son parent : c’est le petit singe Vermillon.