Renan, Brunetière, d’autres encore, devant cette vie calme de célibataire, cette goutte d’eau pareille à tant d’autres gouttes, ont demandé à Amiel de quoi il avait à se plaindre, et cherché vainement le tourment de sa vie : car la vie d’Amiel passe pour une vie tourmentée, et les seize mille pages d’Amiel font l’anatomie de ce tourment et des intermittences de ce tourment, qui sont d’ailleurs nombreuses. […] * Comme ces profondeurs des mers secondaires, il fallait peut-être au Journal, pour naître, le calme et l’abondance intérieure de Berlin, cette Gründlichkeit des années quarante qui faisait surgir alors dans les vers de Lamartine, pour exprimer le génie allemand, des images pareilles à celles que nous fournit ici le fil de la pensée : Leur langue a les grands plis du manteau d’une reine.
Prosaïques par l’imitation de la vie réelle, elles le sont aussi par le but pratique, positif et moral qu’elles se proposent, et quand je lis les préfaces satisfaites de ces comédies utiles qui ne sont que des tableaux de la vie domestique où s’inscrivent çà et là de solides préceptes, pareils à celui qu’Harpagon voulait faire graver sur sa cheminée en lettres d’or, je crois entendre Euripide s’écriant dans les Grenouilles d’Aristophane : Grâce à moi, grâce à la logique De mes drames judicieux, Et surtout à l’esprit pratique De mes héros sentencieux, Le bourgeois plus moral, plus sage, Apprend à mener sa maison ; Car il rencontre à chaque page Des maximes pour sa raison Et des conseils pour son ménage44 !