Les événements s’accélérant chaque jour et le péril croissant, la reine fut bientôt obligée d’être sérieuse, de peser des résolutions graves, de se former un avis sur le mode d’agir, d’avoir enfin de la décision et de la volonté pour deux : ici s’ouvre tout une autre vie pour elle, et elle suffit avec noblesse à ce second personnage qui put et dut commettre bien des fautes, mais qui ceignit la couronne d’épines, épuisa tous les calices et porta sa croix jusqu’au martyre. […] Grâce à je ne sais quelle conjonction d’étoiles, tous les portefeuilles s’ouvrent d’eux-mêmes et toutes les lettres pleuvent à la fois. […] Avec sa sœur Marie-Christine elle entre dans plus de détails ; elle parle plus à cœur ouvert et ose avouer ses craintes qu’avec un peu de superstition il ne tiendrait qu’à nous de prendre pour des pressentiments : « Ma chère Christine, la seule à qui j’ose parler à cœur ouvert, je suis arrivée à Augsbourg aussi navrée que la dernière fois que je vous ai écrit. […] … » C’est à elle de parler, de raconter tout ce voyage avec les impressions qu’elle y mêle et avec cette vivacité, ce mouvement de jeune fille qui était alors une des grâces et l’un des enchantements de sa personne : « Les grandes scènes ont commencé au Rhin ; on m’a conduite dans une île où j’aurais été bien heureuse d’être un peu seule comme Robinson pour me recueillir, mais on ne m’en a pas laissé la liberté ; on m’a comme emportée dans une maisonnette dont un côté était censé l’Allemagne, l’autre la France ; à peine m’a-t-on laissé le temps de faire une prière et de penser à notre bonne chère maman et à vous tous, mes bien-aimés du petit cabinet ; les femmes se sont emparées de moi, — m’ont changée des pieds à la tête. — Après cela, sans me laisser respirer, on a passé dans une grande salle, on a ouvert le côté de France, et l’on a lu des papiers : c’était le moment où mes pauvres dames devaient se retirer ; elles m’ont baisé les mains et ont disparu en pleurant. […] Les trois tantes, filles du roi, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie (il n’est plus question de Madame Louise la carmélite) sont assez difficiles à définir dans leur insignifiance, tantôt démonstratives à l’égard de la Dauphine, tantôt froides et piquantes, surtout la moins jeune (Madame Adélaïde) : « Ma tante Adélaïde m’intimide un peu ; heureusement que je suis favorite de ma tante Victoire, qui est plus simple ; — pour la tante Sophie, elle n’a pas changé ; c’est au fond, j’en suis sûre, une âme d’élite, mais elle a toujours l’air de tomber des nues : elle restera quelquefois des mois sans ouvrir la bouche, et je ne l’ai pas encore pu voir en face… » Cette tante Sophie, qu’on ne pouvait voir en face et qui était si habile à se dérober, est bien celle dont Mme Campan a dit que « pour reconnaître, sans les regarder, les gens qui étaient sur son passage, elle avait pris l’habitude de voir de côté à la manière des lièvres.
Lui, l’auteur du Marquis des Saffras, — mot patois qui dit, même avant que le livre soit ouvert, quelle est la variété de paysan à laquelle il a consacré ses facultés d’observation et de peinture, — lui donc, l’auteur du Marquis des Saffras, sait parfaitement qu’il n’y a pas plus de paysans en général que d’hommes en général, et que, quand on se sert de ce mot-là, fût-on Balzac lui-même, il faut ajouter une épithète au substantif et particulariser comme la nature. […] « En 184… (c’est ainsi que s’ouvre le roman du Marquis des Saffras), pour la Saint-Quinid, fête de leur paroisse, les paysans de Montalric donnèrent une grande représentation de La Mort de César. […] Il les connaît, il les agite, il les remue et les penche, il leur ouvre le sein, il les décompose, et avec une puissance bien supérieure à celle qu’il possède, et dont il fait preuve quand il n’a affaire qu’à l’homme seul. […] L’émeute qui ouvre le fier roman de La Prison d’Edimbourg, ce chef-d’œuvre, est moins saisissante et moins terrible ; et ce n’est pas la seule attestation que l’auteur du Marquis des Saffras nous donne de sa haute aptitude à pétrir les cœurs populaires et à traduire avec une énergie digne d’elles les fortes passions qu’ils contiennent.