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419. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Louise Labé, sans viser précisément à l’émancipation des femmes comme nous l’entendons aujourd’hui, faisait quelques pas hardis en ce sens ; elle était de celles, ainsi qu’elle le dit dans sa dédicace à son amie Mlle Clémence de Bourges, qui donnaient le conseil, sinon l’exemple, et qui osaient du moins prier les vertueuses dames d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux. […] Tout à coup je le vis au détour d’une allée, Je le vis, et n’osai m’approcher d’un seul pas ; Je m’arrêtai confuse, interdite, troublée, Le regardant sans cesse et ne respirant pas. […] Mais depuis que quelcuns de mes amis ont trouvé moyen de les lire sans que j’en susse rien, et que (ainsi comme aisément nous croyons ceux qui nous louent) ils m’ont fait à croire que les devois mettre en lumière, je ne les ai osé esconduire, les menaçant cependant de leur faire boire la moitié de la honte qui en proviendroit. […] Je suis obligé, bien qu’à regret, d’y renvoyer le lecteur curieux, pour ne pas trop abonder ici en ces sortes d’images12 ; mais j’oserai citer au long le sonnet xiv, admirable de sensibilité, et qui fléchirait les plus sévères ; à lui seul il resterait la couronne immortelle de Louise : Tant que mes yeux pourront larmes espandre, A l’heur passé avec toi regretter ; Et qu’aux sanglots et soupirs résister Pourra ma voix, et un peu faire entendre ; Tant que ma main pourra les cordes tendre Du mignard luth, pour tes grâces chanter ; Tant que l’esprit se voudra contenter De ne vouloir rien fors que toi comprendre ; Je ne souhaite encore point mourir.

420. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

écrit-elle naïvement ; il a été fait avec le Ciel ; voilà pourquoi j’ose dire qu’il y a des beautés. » En se replaçant ainsi au moyen-âge, aux horizons de la croisade teutonique et chrétienne, il semblait que Mme de Krüdner revenait par instinct à ses origines naturelles. […] Qui a osé douter qu’il n’y ait là de hautes inspirations, et qui n’a dit avec l’Apôtre : « Les choses vieilles sont passées, voici que toutes choses sont faites nouvelles ?  […] On rapporte (et c’était déjà dans ces années de conversion) qu’un homme distingué qui venait souvent chez elle, épris des charmes de sa fille qui lui ressemblait avec jeunesse, s’ouvrit et parla à la mère, un jour, de l’émotion qu’il découvrait en lui depuis quelque temps, des espérances qu’il n’osait former ; et Mme de Krüdner, à ce discours assez long et assez embarrassé, avait tantôt répondu oui et tantôt gardé le silence ; mais tout d’un coup, à la fin, quand le nom de sa fille fut prononcé, elle s’évanouit : elle avait cru qu’il s’était agi d’elle-même. — Au reste, pour bien entendre, selon la mesure qui convient, ce reste de facilité romanesque chez Mme de Krüdner au début de sa conversion, et aussi la décence toujours conservée au milieu de ses inconséquences du monde, il faut ne pas oublier ce mélange particulier en elle de la légèreté et de la pureté livonienne qui explique tout. […] Aujourd’hui qu’elle s’est jetée dans la dévotion mystique, elle fait des prophéties, c’est encore du roman, mais d’un genre tout opposé… » Il finissait et concluait du même ton : « L’Évangile en main, j’oserai lui dire que nous aurons toujours des pauvres au milieu de nous, ne fût-ce que de pauvres têtes. » L’anonyme du Journal de Paris se permit de trouver ce jeu de mots final plus digne de Potier ou de Brunet, que d’un chrétien sérieusement pénétré de l’Évangile.

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