Nous sçavons des détails sur les petitesses des grands hommes que nous avons vûs, ou que nos contemporains ont pû voir, qui rapprochent si bien ces grands hommes des hommes ordinaires, que nous ne sçaurions avoir pour eux la même veneration avec laquelle nous sommes en habitude de regarder les grands hommes de Rome et ceux de la Grece. […] Voilà pour les historiens ordinaires. […] Un historien met ses talens en évidence, il peut même faire parade de sa probité en racontant les actions d’un grand scelerat ; mais il se dégrade lui-même, et il devient un écrivain insipide, s’il fait de ses acteurs des hommes trop ordinaires.
La force de son génie, qui lui fait deviner et imaginer un nombre infini de choses, qui ne sont pas à portée des esprits ordinaires, lui donne plus d’avantage sur les esprits ordinaires, qui professeront un jour le même art que lui, après que cet art aura été perfectionné, que ces esprits n’en pourront avoir sur lui, par la connoissance qu’ils auront des nouvelles découvertes et des nouvelles lumieres dont l’art se trouvera enrichi lorsqu’ils viendront à le professer à leur tour. Le secours que donne la perfection où l’un des arts dont nous parlons est arrivé, ne sçauroit mener les esprits ordinaires aussi loin que la supériorité de lumieres et de vûës naturelles, peut porter un homme de génie.