Puis il ajoute : « Je sais qu’on veut à la Musique limiter le mystère, quand l’écrit y prétend. » Et plus loin : « Les mots d’eux-mêmes s’exaltent36 à mainte facette produite la plus rare ou valant pour l’esprit, centre du suspens vibratoire, qui les perçoit indépendamment de la suite ordinaire, projetés comme en parois de grotte tant que dure la mobilité. » Ces phrases nébuleuses signifient, si je ne me trompe : iº Que le rôle des mots consiste à voiler la pensée. 2º Que la littérature a le droit d’empiéter sur le domaine de la musique. 3º Que les mots, par suite d’un don spécial, peuvent émouvoir l’esprit par leur seule sonorité sans qu’il y ait lieu de s’occuper de leur agencement grammatical.
Parfois, l’écrivain semble arriver avec des idées entièrement neuves : soyez sûrs que, malgré les apparences, et quoiqu’elles détonnent peut-être sur le fonds intellectuel et moral des contemporains, il ne les a point tirées de sa propre substance, ni créées, au sens propre du mot ; il les a trouvées autour de lui, éparses partout, courant dans l’air comme de fines poussières qui échappent aux regards ordinaires, sortant à la fois de millions d’êtres muets qui n’auraient pu les exprimer, qui les produisent sans s’en douter, et auxquels il fournit les formules attendues, les images frappantes, claires, justes, le vêtement enfin, le vêtement qui empêche les frileuses idées de grelotter et de mourir.