Necker, après son premier ministère, une très haute idée : en le retrouvant à la tête des affaires et en s’entretenant avec lui, il dut en rabattre, et, en ne cessant de rendre justice à ses intentions, il s’aperçut de toute l’hésitation de son caractère, qui se conciliait avec une opinion très exagérée de son crédit et de son ascendant sur les esprits. […] Soit qu’il fût ou non de bonne foi dans l’ouverture qu’il me faisait, je n’eus garde de la repousser, et je lui dis : « Monsieur, j’ai une telle opinion de vos lumières, que je ne balance pas à croire ce que vous me dites, et je suis très impatient d’attendre ce que vous allez y ajouter. » — « Ce que j’ai à ajouter est fort simple, me dit M. de Mirabeau. […] On s’en fait une assez triste opinion, et malgré son savoir, son vaste magasin de connaissances, traversées par un mouvement d’idées incontestable, on se demande s’il était autre chose, dans son siècle, qu’un infatigable moulin à conversation, — infatigable à coup sûr, mais aussi parfois très fatigant. […] Ce fut surtout en ces années passées chez Malouet que ses opinions se modifièrent, et que la peur le prit sérieusement de voir la France mettre en pratique les doctrines de ses livres. […] J’étais en ce temps-là rempli d’horreur pour l’esclavage dans les Indes occidentales et pour le commerce des esclaves, et l’Histoire de Haynal n’avait pas peu aidé à fortifier en moi ces sentiments ; mais, quand je vins à l’aborder sur ces sujets, il me parut si froid et si indifférent, que je conçus de lui une opinion tout à fait défavorable.
La différence des opinions a amené dans le passé plus de massacres et peut amener encore plus de troubles et de malheurs que la contrariété des intérêts. […] C’est pour des différences d’opinion bien plus que pour la conquête du pouvoir que les hommes de la Révolution se sont envoyés à l’échafaud : et cependant ils étaient d’accord sur les choses essentielles, l’amour de la patrie et l’amour de l’humanité. […] Presque toujours l’intolérance est un legs du passé ; elle s’exerce en vertu d’opinions qu’on a reçues et qu’on oublie de contrôler. Beaucoup de ces opinions sont de purs anachronismes. […] Et le triste de l’affaire, c’est qu’on est beaucoup plus intolérant pour défendre les opinions que l’on a héritées ou que l’on accepte comme le mot d’ordre d’un parti que pour soutenir celles qu’on a essayé de se faire tout seul : car alors on sait par expérience ce qui s’y mêle d’incertitude… Ah !