Ceux-ci, en effet, admirent les Anciens d’abord et ensuite, en tout et partout, et tels qu’on les leur offre, ne s’inquiétant que de leur impression personnelle et directe, qu’ils confondent volontiers d’ailleurs avec la donnée traditionnelle. […] Quelques-uns seulement y auront perdu : Aristarque, je le sais, tel que l’analyse nous l’offre, ne répond plus tout à fait à l’idée proverbiale et grandiose qu’en avaient conçue les Anciens ; c’est le sort et le malheur des plus excellents critiques, dont les services se consomment en quelque sorte sur place, et qui travaillent à se rendre inutiles. […] Mais aussi, que le présent, que l’avenir le plus prochain, ne nous possèdent point tout entiers ; que l’orgueil et l’abondance de la vie ne nous enivrent pas ; que le passé, là où il a offert de parfaits modèles et exemplaires, ne cesse d’être considéré de nous et compris.
C’est plaisir et soulagement, je l’avoue, au milieu des surcroîts et des surcharges de l’érudition contemporaine dont on profite tout en se sentant accablé parfois, de rencontrer un esprit, supérieur, habitué à généraliser et à simplifier, qui prend les choses littéraires par le côté principal et qui les offre comme il les voit, sans diminution, sans exagération non plus ni engouement, qui en sait ce qu’il faut en savoir, qui en ignore ce qui n’est bien souvent qu’inutile et incommode, et qui vous conduit vers le fruit d’une saine lecture par la large voie du bon sens. […] Il s’est donc attaché à notre grand tragique, et il s’est complu à démontrer en lui une âme et une intelligence essentiellement historique, pleine de prévisions et de divinations : non qu’il ait jamais supposé que le vieux poète, en s’attaquant successivement aux divers points de l’histoire romaine pendant une si longue série de siècles, depuis Horace et la fondation de la République jusqu’à l’Empire d’Orient et aux invasions d’Attila, ait eu l’idée préconçue d’écrire un cours régulier d’histoire ; mais le critique était dans son droit et dans le vrai en faisant remarquer toutefois le singulier enchaînement qu’offre en ce sens l’œuvre dramatique de Corneille, et en relevant dans chacune de ses pièces historiques, même dans celles qu’on relit le moins et qu’on est dans l’habitude de dédaigner le plus, des passages étonnants, des pensées et des tirades dignes d’un esprit politique, véritablement romain. […] L’action, l’arrangement dramatique, les caractères, les mœurs, la langue, tout enfin, les vers même offrent les défauts les plus graves ; et la barbarie d’un art qui commence à peine à se former ne suffit pas, il s’en faut, à les excuser.