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2368. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

On ne saisirait pas avec tant d’empressement les moindres occasions qui s’offrent de la contester, si l’on ne reconnaissait pas intérieurement ce qu’elle a de vraisemblance ; et on lui reprocherait moins aigrement, à lui, d’avoir « manqué de critique » si l’on ne se rendait pas compte que, de la manière dont il a posé la question, il l’a pour ainsi dire élevée au-dessus des chicanes de la critique. […] Suard, le genre d’influence de Fontenelle, et joliment défini l’effet que produisirent dans le temps de leur apparition, l’Histoire des Oracles et les Entretiens sur la pluralité des mondes : « La question si les oracles du paganisme avaient été rendus par les démons ou par les prêtres n’offrait par elle-même ni assez de doutes, ni assez d’intérêt à un philosophe pour engager Fontenelle à la traiter ; mais Van Dale, en la traitant en érudit, y avait jeté avec profusion les faits les plus importants de l’histoire entière du paganisme, et dans cet ouvrage d’un médecin hollandais, Fontenelle découvrit aisément les matériaux d’une histoire de l’esprit humain sous la double puissance d’une imagination qui sait tout feindre, et d’une religion qui fait tout croire… « Il s’empare de tant de textes, de tant de faits qui n’ont plus besoin ni d’être cherchés, ni d’être vérifiés ; tout son travail est borné à l’action de son esprit lumineux ; et il écrit l’histoire des oracles, c’est-à-dire l’histoire des temples dessinés par le génie du sacerdoce plus encore que par celui de l’architecture, destinés à exercer sur la vue, sur l’ouïe, sur l’odorat, des séductions que la crédulité ne peut ni combattre, ni même soupçonner dans ce qu’elle adore ; l’histoire des prêtres qui étudient les langues, pour les rendre non plus précises, mais plus vagues, non pour éviter les équivoques, mais pour les multiplier, et s’en faire un art savant d’illusions et de mensonges ; l’histoire des peuples enivrés de superstitions sous de tels pontifes, et sans cesse errants autour des sanctuaires pour y chercher le Dieu ou le prêtre, la statue de marbre ou de bronze qui peut le mieux leur révéler leurs destinées futures. » Un autre passage de Garat n’est pas moins caractéristique : « Copernic et Galilée, dit-il, avaient dès longtemps expliqué les mouvements diurne et annuel de notre globe, et de ceux dont les clartés errent sur nos têtes ; mais quoique cette magnifique découverte ne pût plus être contestée par aucun savant, presque pour tous les esprits, elle était aussi profondément cachée dans les sciences qu’elle l’avait été dans la nature. […] Qui s’offrira d’abord ? […] Plusieurs vérités séparées, dès qu’elles sont en assez grand nombre, offrent si vivement à l’esprit leurs rapports et leurs mutuelles dépendances, qu’il semble qu’après avoir été détachées par une espèce de violence les unes des autres, elles cherchent naturellement à se réunir. » On lit encore, dans une autre Préface, le passage suivant sur les rapports de la physique et de la géométrie : « La géométrie n’a presque aucune utilité si elle n’est appliquée à la physique, et la physique n’a de solidité qu’autant qu’elle est fondée sur la géométrie !

2369. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

Ce ne sont point ses impressions qu’il nous donne ; c’est la réalité qu’il tâche à ressaisir, et la réalité tout entière ; l’ampleur de son dessein l’indique ; et dans sa Comédie humaine, mettant à s’oublier lui-même autant de gloire que les romantiques à nous fatiguer d’eux, son ambition n’a été que de nous offrir, de l’histoire de son temps, le miroir le plus fidèle, et à peine un peu grossissant. […] De la carrière politique de Chateaubriand ; — et du peu d’intérêt qu’elle offre pour l’histoire des idées. — Les Écrits politiques et les Discours de Chateaubriand n’ont rien ajouté à sa gloire ; — mais pendant cinq ou six ans, 1824-1830, ses articles du Journal des Débats ont fait le plus grand tort à la monarchie de 1815 ; — et à la cause qui était celle de leur auteur. — Du principe d’orgueil qu’il a ainsi introduit dans la littérature de son temps. — Les Mémoires d’outre-tombe ; — et que le caractère n’en diffère pas de celui des Confessions de Rousseau ; — mais qu’ils touchent par occasion à de plus grands intérêts ; — dans l’appréciation desquels Chateaubriand n’a généralement tenu compte que de son amour-propre. — Si les Mémoires d’outre-tombe sont le chef-d’œuvre de Chateaubriand ? […] Paul Janet, La Philosophie de Lamennais] ; — et qui contient d’ailleurs quelques-unes de ses plus belles pages [Cf. son Esthétique]. — Mais ses grandes œuvres demeurent ses premières œuvres ; — et c’est d’après elles qu’il faut juger l’écrivain ; — qui offre cette singularité d’être l’un des moins personnels qu’il y ait dans son style ; — tout en étant l’un des plus « entiers » dans ses idées ; — et l’un des plus puissants de ce temps. — Qu’aussi bien sa manière, très dure à ses débuts, dans l’Essai sur l’indifférence, t. 

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