« Je suppose que ce soit ici notre derniere heure à tous, que les cieux vont s’ouvrir sur nos têtes, que le tems est passé & que l’éternité commence, que Jesus-Christ va paroître pour nous juger selon nos oeuvres, & que nous sommes tous ici pour attendre de lui l’arrêt de la vie ou de la mort éternelle : je vous le demande, frappé de terreur comme vous, ne séparant point mon sort du vôtre, & me mettant dans la même situation où nous devons tous paroître un jour devant Dieu notre juge : si Jesus-Christ dis-je, paroissoit dès-à-présent pour faire la terrible séparation des justes & des pécheurs ; croyez-vous que le plus grand nombre fût sauvé ? […] croyez-vous que s’il faisoit maintenant la discussion des oeuvres du grand nombre qui est dans cette église, il trouvât seulement dix justes parmi nous ? […] Le metteur en oeuvre travaille adroitement ce que l’homme de goût a dessiné habilement.
On connaît les principaux événements de cette épopée, le rétablissement d’Isaac l’Ange, les démêlés des croisés avec le jeune Alexis, l’usurpation et le détrônement de Murtzuphle, l’occupation et le pillage de Constantinople en 1201, l’installation de Baudouin en qualité d’empereur, les combats qu’il eut à soutenir contre les Grecs et les Bulgares, jusqu’à la journée d’Andrinople où il fut fait prisonnier ; la régence et les deux premières années du règne de Henri, frère de Baudouin, la mort ; du marquis de Montferrat en 1207, Villehardouin est peut-être le héros le plus solide de cette épopée, œuvre de sa fermeté persévérante, où il remplit tour à tour, aux moments décisifs, avec un succès dont il se vante moins que les héros d’Homère, le rôle de négociateur et celui de capitaine.