J’avais eu l’occasion, l’année précédente, de rencontrer à Chambéry une jeune personne anglaise, d’un extérieur gracieux, d’une imagination poétique, d’une naissance distinguée, alliée aux plus illustres familles de son pays. […] Ce fut là que j’eus l’occasion de voir et d’admirer, suspendue aux bras de sa mère, cette ravissante princesse Christine, dans toute la fleur de beauté et d’intelligence, que son sort destinait pour épouse au roi d’Espagne, Ferdinand VII, et qui a su, au milieu des tempêtes, plaire, gouverner, transmettre un trône à sa fille, régner, tomber, ou plutôt se retirer du trône, plus heureuse et plus habile que Christine de Suède, dans le demi-jour d’une existence à l’abri des coups de vent. […] À son arrivée à Missolonghi avec de l’or et des armes, le ciel lui avait refusé l’occasion d’illustrer deux fois son nom de poète en y ajoutant le nom de héros, d’homme d’État et de libérateur de la Grèce.
Madame de Staël disparut à ses yeux dans la gloire de la campagne d’Italie : elle passa l’hiver de 1800 à 1801 sans être recherchée ni inquiétée par le gouvernement ; elle s’obstinait néanmoins encore à rencontrer les occasions de frapper l’imagination du premier consul ; elle en fait l’aveu dans une page de ses mémoires. […] En effet, il me fit des compliments sur mes écrits. « Vous voyez, lui dis-je, monsieur, où cela mène, d’être une femme d’esprit ; déconseillez-le, je vous prie, aux personnes de votre famille, si vous en avez l’occasion. » J’essayais de me monter par la fierté, mais je sentais la griffe dans mon cœur. […] Qu’on en juge par ce qu’elle dit de la poésie à l’occasion de sa rencontre à Weymar avec Gœthe et Schiller, ces deux poëtes dont le génie, au lieu de faire deux rivaux, fit deux amis immortels.