Un jour est fini, la nuit monte. […] Brun ou de Callot, ou l’énergique touffe de barbe des gardes civiques dans la Ronde de nuit de Rembrandt. […] Le voyage a duré quatre jours et quatre nuits, et le voyageur est naturellement moulu. […] Ceux qui, dans la nuit noire, ont cherché à reconnaître les objets à l’horizon lointain, peuvent se faire une idée du tableau qu’offre le monde intellectuel d’un débile. […] Elle fait paraître les choses profondes par les mêmes moyens que la nuit : en rendant non perceptibles leurs contours.
Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] Dès l’arrivée du duc de Guise à Paris, la physionomie de la capitale a changé : Tout Paris était plein de gens nouveaux et de visages qui semblaient ne respirer que la proie et la vengeance ; il se tenait jour et nuit des conférences au Louvre et chez les partisans du duc ; on n’entendait plus autre chose dans la ville et à la Cour que des bruits confus de diverses résolutions qui se prenaient, et peut-être qu’à l’heure il ne s’en était encore pris aucune.