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532. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Le travail, de quelque nature qu’il soit, affranchit l’âme des passions dont les chimères se placent au milieu des loisirs de la vie. […] C’est une action continuelle, et l’homme ne saurait renoncer à l’action ; sa nature lui commande l’exercice des facultés qu’il tient d’elle. […] Tout, hors la pensée, parle de destruction ; l’existence, le bonheur, les passions sont soumises aux trois grandes époques de la nature, naître, croître et mourir ; mais la pensée, au contraire, avance par une sorte de progression dont on ne voit pas le terme ; et, pour elle, l’éternité semble avoir déjà commencé. […] Plusieurs traits de la vie des anciens philosophes, d’Archimède, de Socrate, de Platon, ont dû même faire croire que l’étude était une passion ; mais si l’on peut s’y tromper par la vivacité de ses plaisirs, la nature de ses peines ne permet pas de s’y méprendre. […] Nul être vivant ne le secourt, nul être vivant ne s’intéresse à son existence ; il ne lui reste que la contemplation de la nature, et elle lui suffit ; c’est ainsi qu’existe l’homme sensible sur cette terre, il est aussi d’une caste proscrite, sa langue n’est point entendue, ses sentiments l’isolent, ses désirs ne sont jamais accomplis, et ce qui l’environne, ou s’éloigne de lui, ou ne s’en rapproche que pour le blesser.

533. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Profondément estimé en France de tous ceux qui avaient lu quelques-uns de ses morceaux de morale et de critique dans lesquels une pensée si forte et si fine se revêtait d’un style ingénieux et savant, il laisse un vide bien plus grand que la place même qu’il occupait, et il serait impossible de donner idée de la nature d’une telle perte à quiconque ne l’a pas vu au sein de ce monde un peu extérieur à la France, mais si étendu et si vivant, dont il était l’une des lumières. […] Comme orateur, comme professeur, il avait également une puissance, une spontanéité de mouvement, un jet qui était dans sa nature, et que l’écrivain en lui s’interdisait. […] Vinet sur Pascal, si on les réunissait dans un petit volume, présenterait, selon moi, les conclusions les plus exactes auxquelles on puisse atteindre sur cette grande nature tant controversée. […] Vinet n’a pas eu le même bonheur que Topffer ; il a vu son cher pays en proie aux violents, la culture de quinze années détruite en un jour, ses meilleurs amis dispersés ; il a bu tout le calice d’amertume dont était capable sa nature tendre, et il est à croire que, tout en sentant qu’il en souffrait et qu’il en mourait, sa belle âme en tirait un nouveau sujet de rendre grâces et de bénir.

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