La nation française était, à quelques égards, trop civilisée ; ses institutions, ses habitudes sociales avaient pris la place des affections naturelles. […] Les modèles pleins de grâce que nous avons dans la langue, pourront servir de guide aux François, mais comme ils en servent aux nations étrangères. […] Il faut, malgré les différences qui existeront longtemps encore entre les deux nations, que les écrivains français se hâtent d’apercevoir qu’ils n’ont plus les mêmes moyens de succès dans l’art de la plaisanterie ; et loin de penser que la révolution leur ait donné plus de latitude à cet égard, ils doivent veiller avec plus de soin sur le bon goût, puisque la société et toutes les sociétés, confondues après une révolution, n’offrent presque plus de bons modèles, et n’inspirent pas ces habitudes de tous les jours, qui font de la grâce et du goût votre propre nature, sans que la réflexion ait besoin de vous les rappeler. […] Ce que notre destinée a eu de terrible, force à penser ; et si les malheurs des nations grandissent les hommes, c’est en les corrigeant de ce qu’ils avaient de frivole, c’est en concentrant, par la terrible puissance de la douleur, leurs facultés éparses.
Par malheur, dans l’histoire, jamais les choses ne se sont conduites selon le vœu et le conseil de cette classe d’esprits : les nations, et surtout la nôtre, ne marchent qu’en brisant et rompant de temps en temps avec leur passé. […] Cela était vrai surtout de la Provence, de la Nation provençale comme on disait, chez laquelle le roi n’était admis à faire les lois qu’à titre d’héritier des comtes souverains du pays. […] Portalis qualifiait ce décret du 3 Brumaire « un véritable Code révolutionnaire sur l’état des personnes. » Il montrait que le régime révolutionnaire avait dû être détruit par la Constitution : « Et au lieu de cela, c’est la Constitution que l’on veut mettre sous la tutelle du régime révolutionnaire. » La suite et l’enchaînement régulier de la discussion s’animait chemin faisant, sur ses lèvres, d’expressions heureuses à force de justesse : « Avec la facilité que l’on a, disait-il, d’inscrire qui l’on veut sur des listes, on peut à chaque instant faire de nouvelles émissions d’émigrés. » Il demandait pour la Constitution de la patience et du temps : « Il faut que l’on se plie insensiblement au joug de la félicité publique. » Il observait que jamais nation ne devient libre quand l’Assemblée qui la représente ne procède ainsi que par des coups d’autorité : « Les institutions forment les hommes, si les hommes sont fidèles aux institutions ; mais si nous conservons l’habitude de révolutionner, rien ne pourra jamais s’établir, et nos décrets ne seront jamais que des piliers flottants au milieu d’une mer orageuse. » On entrevoit par ces passages que Portalis n’était pas dénué d’une certaine imagination sobre et grave qui convenait à la nature et à l’ordre de ses idées législatrices. […] Le mépris que nous affectons pour un culte commun à tant de nations pourrait nuire à nos intérêts politiques et à nos relations commerciales ; car il n’est rien à quoi les hommes soient plus sensibles qu’au mépris qu’on laisse éclater contre leurs coutumes ou leur religion.