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545. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Ce Messie, attendu depuis si longtemps, est-il donc  ? […] Judas est à Jérusalem d’un homme appelé Ruben et de Cyborée sa femme : celle-ci a rêvé une nuit qu’il naîtrait d’elle un enfant qui commettrait toutes sortes de crimes, meurtres, trahisons, qui tuerait son père, épouserait sa mère et finirait par livrer le Sauveur. […] Trouver à dire à l’innocence de l’antique Œdipe et préférer la situation d’un Judas brutal, méchant, violent, d’un Judas tout d’une pièce, qui a mérité, si l’on peut dire, de tuer son père et d’épouser sa mère, c’est louer à côté et méconnaître la source la plus élevée de l’émotion.

546. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Deleyre, en 1726 et de quatorze ans plus jeune que lui, le suivait d’assez près en tout ; il n’était pas seulement le plus passionné de ses disciples, c’était en quelque sorte un Rousseau en second, un Rousseau affaibli, non affadi, nullement copiste, bien naturel, bien sincère, — j’allais dire, plus sincère quelquefois que l’autre. — Je repasse sur les traits de ressemblance. […] Écoutons Deleyre et sa confession en vue de la mort : « La France où je suis est tombée de la corruption des mœurs sous le joug du despotisme. […] Il a beau se contenter des dons du sort et de la médiocrité du sage, il y a des moments où il sent le besoin pourtant d’un peu plus de fortune pour la variété et pour le renouvellement de la vie ; il a conscience de ce qui lui manque, tant pour l’entière satisfaction du cœur et de l’esprit que pour les excitations légitimes du talent : « Il nous faudrait à tous deux (à Thomas et à lui), mais surtout à moi, dit-il, un peu plus de fortune : cela me mettrait à même de couper, par quelques parties agréables, la monotonie d’une existence qui n’a point assez de mouvement pour un homme penseur, que la vue des mêmes visages et du même horizon ramène trop facilement sur son état et sur la misère des choses humaines. » Puis il se repent presque aussitôt d’avoir trop demandé, et faisant allusion à quelque image mélancolique que lui suggérait une lettre de Deleyre (malheureusement nous ne possédons aucune de celles qui sont adressées à Ducis) : « Hélas ! […] Il ne peut se détacher de son fruit et, comme il le dit énergiquement, « de ce qu’il a fait naître » ; il y adhère ; peu s’en faut qu’il n’y meure collé dans un suprême embrassement.

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