Frédéric Mistral, nouvellement découvert, et dont le nom, beau comme un surnom, convient si bien à un poète de son pays, un homme né et resté dans la société qu’il chante, ayant le bonheur d’avoir les mœurs de ses héros et d’être un de ces poètes complets, dont la vie et l’imagination s’accordent, comme le fut Burns, le jaugeur. […] Il y a aussi un autre chant, intitulé Les Prétendants, où les trois rivaux du pauvre Vincent le vannier sont dépeints avec un détail si prodigieux et si vaste, qu’on dirait trois rois de contrées différentes qu’Alari, le berger, Veran, le gardien de cavales, et Ourrias, le loucheur, Ourrias, toute la tragédie de ce poème, qui se lève et que l’on pressent dès les premières strophes que lui consacre le poète… : « Ourrias, né dans le troupeau, élevé avec les bœufs, — des bœufs il avait la structure et l’œil sauvage, et la noirceur, et l’air revêche et l’âme dure ! […] Ruines d’idiomes ou retards de langage, est-ce que le Génie, lorsqu’il naît au sein des patois, ne les relève pas si ce sont des ruines, ne les avance pas si ce sont des retardements ?
Puisqu’il a résisté si longtemps aux gymnastiques assassines pratiquées sur les organes de son génie, c’est qu’il était né plein de force, fait pour croître, robuste et gracieux, dans la simplicité et dans la lumière, semblable à l’Astyanax nu du tableau, au bonnet d’azur, parsemé d’étoiles ! […] On naît cuisinier, mais non pas clown. […] Le La Bruyère qui écrira cette page d’observation terrible n’est peut-être pas né, mais tous ceux qui sentent en eux la conscience forte et tressaillante de la société où ils vivent savent si l’histrionisme nous dévore, et peuvent se demander, en lisant des œuvres poétiques comme ce dernier volume, si la fin de notre monde littéraire doit avoir lieu dans un cabotinage universel.