Il lui est aussi impossible d’aimer le bien pour le bien que d’aimer le mal pour le mal404. » — « Les principes de la loi naturelle405, disent les disciples, se réduisent à un principe fondamental et unique, la conservation de soi-même. » « Se conserver, obtenir le bonheur », voilà l’instinct, le droit et le devoir. « Ô vous406, dit la nature, qui, par l’impulsion que je vous donne, tendez vers le bonheur à chaque instant de votre durée, ne résistez pas à ma loi souveraine, travaillez à votre félicité, jouissez sans crainte, soyez heureux. » Mais, pour être heureux, contribuez au bonheur des autres ; si vous voulez qu’ils vous soient utiles, soyez-leur utile ; votre intérêt bien entendu vous commande de les servir. « Depuis la naissance jusqu’à la mort, tout homme a besoin des hommes. » — « Vivez donc pour eux, afin qu’ils vivent pour vous. » — « Soyez bons, parce que la bonté enchaîne tous les cœurs ; soyez doux, parce que la douceur attire l’affection ; soyez modestes, parce que l’orgueil révolte des êtres remplis d’eux-mêmes… Soyez citoyens, parce que la patrie est nécessaire à votre sûreté et à votre bien-être. […] Les pièces inférieures y servent comme les supérieures ; toutes sont nécessaires, proportionnées, en place, non seulement le cœur, la conscience, la raison et les facultés par lesquelles nous surpassons les brutes, mais encore les inclinations qui nous sont communes avec l’animal, l’instinct de conservation et de défense, le besoin de mouvement physique, l’appétit du sexe, et le reste des impulsions primitives, telles qu’on les constate dans l’enfant, dans le sauvage, dans l’homme inculte414. […] Il n’a pas de rôle à jouer, il n’est pas comédien. » — Sciences, beaux-arts, arts de luxe, philosophie, littérature, tout cela n’est bon qu’à efféminer et dissiper l’âme ; tout cela n’est fait que pour le petit troupeau d’insectes brillants ou bruyants qui bourdonnent au sommet de la société et sucent toute la substance publique En fait de sciences, une seule est nécessaire, celle de nos devoirs, et, sans tant de subtilité ou d’études, le sentiment intime suffit pour nous l’enseigner. — En fait d’arts, il n’y a de tolérables que ceux qui, fournissant à nos premiers besoins, nous donnent du pain pour nous nourrir, un toit pour nous abriter, un vêtement pour nous couvrir, des armes pour nous défendre En fait de vie, il n’en est qu’une saine, celle que l’on mène aux champs, sans apprêt, sans éclat, en famille, dans les occupations de la culture, sur les provisions que fournit la terre, parmi des voisins qu’on traite en égaux et des serviteurs qu’on traite en amis En fait de classes, il n’y en a qu’une respectable, celle des hommes qui travaillent, surtout celle des hommes qui travaillent de leurs mains, artisans, laboureurs, les seuls qui soient véritablement utiles, les seuls qui, rapprochés par leur condition de l’état naturel, gardent, sous une enveloppe rude, la chaleur, la bonté et la droiture des instincts primitifs Appelez donc de leur vrai nom cette élégance, ce luxe, cette urbanité, cette délicatesse littéraire, ce dévergondage philosophique que le préjugé admire comme la fleur de la vie humaine ; ils n’en sont que la moisissure. […] » Ceci nous montre l’esprit, le but et l’effet de la société politique. — À l’origine, selon Rousseau, elle fut un contrat inique qui, conclu entre le riche adroit et le faible dupé, « donna de nouvelles entraves au faible, de nouvelles forces au riche », et, sous le nom de propriété légitime, consacra l’usurpation du sol Aujourd’hui elle est un contrat plus inique, « grâce auquel un enfant commande à un vieillard, un imbécile conduit des hommes sages, une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire ».
Il y a des moments où le scepticisme est nécessaire au progrès des sciences ; il en est d’autres où, selon Hemsterhuis, l’esprit merveilleux doit l’emporter sur l’esprit géométrique. […] On voit souvent ce phénomène dans les révolutions au moment où les partis fatigués ou impuissants ont besoin de se mentir à eux-mêmes et aux autres, pour feindre une transaction nécessaire à tous, et pour attendre une occasion de rompre la trêve. […] Après avoir animé par un reflux fatal mais naturel l’invasion étrangère dans les murs de Paris, après avoir traité libre encore de sa personne à Fontainebleau, après avoir abdiqué et résigné le trône aux Bourbons, se servir dès armes d’honneur qu’on lui avait laissées dans son asile pour violer la foi jurée, les traités, la paix du monde, descendre avec des troupes et du canon sur le rivage de la patrie, embaucher l’armée, corrompre les généraux, déchirer la constitution, chasser du trône le roi nécessaire et réconciliateur, pour ramener par un nouveau défi l’Europe entière au cœur de la France, et pour lui faire perdre à Waterloo les dernières gouttes de son sang, certes il n’y avait d’excuse à un pareil acte que l’ennui personnel de l’empire perdu, et l’impatience d’une ambition qui comptait le monde pour rien devant un caprice de domination ou de gloire. […] Qui pouvait hésiter à se rallier à un dictateur que sa plus implacable ennemie déclarait nécessaire à la patrie et à la liberté ?