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226. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Cette langue antique, toute composée de syllabes sonores et d’images rayonnantes, m’étonnait et me ravissait ; il me semblait n’avoir entendu jusque-là que des mots ; mais ici c’était de la musique dans l’oreille, de la peinture dans les yeux, de l’enivrement dans tous les sens. […] L’éducation éminemment religieuse qu’on nous donnait chez les jésuites, les prières fréquentes, les méditations, les sacrements, les cérémonies pieuses répétées, prolongées, rendues plus attrayantes par la parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l’encens, les fleurs, la musique, exerçaient sur des imaginations d’enfants ou d’adolescents de vives séductions. […] La poésie se compose de trois choses : sentiment, peinture, musique. Dans ce cantique d’enfant, il n’y avait encore que de la musique et un peu de peinture ; le rythme m’enivrait déjà ; mais le rythme seul ressemble à ce chef d’orchestre qui bat la mesure avec son archet pendant les silences de la mélodie. […] De ce moment le nom de M. de Chateaubriand fut une fascination pour nous ; il remplit notre esprit d’un éblouissement d’images et notre oreille d’un enivrement de musique qui nous donnait le vertige de la poésie.

227. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Et c’est ainsi qu’il en arrivait à déclarer à Edmond de Goncourt qui le rapporte dans son journal : « Le livre, c’est la parole sous la figure du silence » et encore : « Un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clef. » Il voulut « incorporer l’abstraction » et pour cela imagina de substituer à la musique des instruments, la musique de la « parole intellectuelle à son apogée ». […] Ses passages obscurs n’ont pas manqué d’exercer l’ingéniosité des scoliastes, mais de toutes leurs versions contradictoires aucune n’a réussi à s’imposer et qu’importent après tous ces velléités d’élucidation, puisque, comme le reconnaît Coppée lui-même, ami de la clarté, « le charme des vers de Mallarmé, même lorsque leur sens se dérobe, agit en nous et nous pénètre à la façon d’une musique ou d’un parfum ».

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