Et des mots qu’ils comprennent tant mal que bien, combien y en a-t-il qui soient à leur usage ? Le mot leur donne une idée plus ou moins ressemblante de la chose : mais la chose évoquera-t-elle le mot ? […] Il ne faut recevoir les mots du jour que pour parler des choses du jour ; les faits, les sentiments, les pensées qui n’ont pas de date, doivent se revêtir de mots qui soient de toutes les époques. […] En même temps, par un effet contraire, beaucoup de mots s’allongeaient, comme si l’ancien mot, par l’usure et le frottement des siècles, n’avait plus assez de corps, et avait besoin d’être renforcé, ou remplacé par d’autres plus étoffés, plus tangibles. […] La pensée en sera plus à l’aise pour se mouvoir ; elle aura plus d’agilité, plus de précision, plus d’étendue : tout mot est le signe d’une idée ; apprendre un mot, c’est acquérir la possibilité d’une idée.
Il y a là ce respect des grands mots, des mots hors de l’usage commun, qu’on retrouve chez tous les hommes médiocrement lettrés et médiocrement artistes. […] Joubert a fort bien expliqué la force des mots familiers. « Ces mots, dit-il, font le style franc. […] Distinction chimérique, qui met dans les mots ce qui doit être dans les choses. […] Les mots n’ont qu’un mérite : la simplicité, qui vient de leur propriété.