Cet apaisement, cette simplification et ces temps de repos qu’il lui prêche, cet état de tranquillité et de quiétude morale auquel il le voudrait insensiblement amener, — ne pas toujours voir Dieu à travers la grille d’un raisonnement étroit et serré, — c’est de la part de Fénelon un conseil du bon sens le plus clairvoyant, le plus net, et qui dans le cas présent, autant que nous en pouvons juger, allait le mieux à son adresse ; c’est encore du bon quiétisme. […] Si quelque chose pouvait être nécessaire pour convaincre de la profonde sincérité chrétienne de Fénelon et de sa haute rectitude morale, cette correspondance avec le duc de Bourgogne ou à son sujet suffirait à en donner la preuve ; car, au point de vue humain et à celui de la Cour, il n’est rien de plus vif, de plus désobligeant, de plus blessant même ni de plus âpre en fait de vérité : il n’y a rien là qui tende à ménager et à prolonger le crédit par aucune flatterie ni louange. […] Les lettres de Fénelon, à cette date, jettent un profond et triste jour sur la décadence de l’esprit public et la détérioration des caractères et de la morale sociale. […] Il est dit de Salomon qu’on le craignait, voyant la sagesse qui était en lui. » Jusqu’à la fin il se méfie, et il combat dans son élève ce qui a été une habitude invétérée jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, le trop de raisonnement, le trop de spéculation opposé à l’action, et une certaine complaisance minutieuse et petite, soit dans le sérieux, soit dans le délassement : « Les amusements puérils apetissent l’esprit, affaiblissent le cœur, avilissent l’homme, et sont contraires à l’ordre de Dieu. » Fénelon, dans toute cette description morale, ne marchande point sur l’expression. […] Sa politique est surtout morale.
Cet esprit ferme, qui n’a jamais connu la défaillance et que l’âge a respecté dans l’intégrité de sa nature, ne peut supporter l’idée que sa ligne morale, politique, historique, religieuse, reste entamée et rompue sans qu’il y ait de sa part réponse et riposte, réparation à la brèche ou même une dernière sortie vigoureuse. En même temps qu’il vaque à l’achèvement de ses Mémoires, à son apologie politique et à la défense de la cause moyenne et restreinte qu’il a si éloquemment soutenue, il revient sur les points essentiels de son dogme en religion, en morale, et les voyant ébranlés par des attaques nouvelles, multipliées, audacieuses ou masquées, ouvertes ou sourdes, il y remet la main pour en raffermir l’idée et la certitude dans les esprits. […] Il les combat, il les réfute ; il évoque contre eux, de même qu’il le faisait contre les précédents adversaires, et sous une forme à peine différente, le péril de la ruine sociale, le spectre du néant, de l’athéisme, son incompatibilité profonde avec l’esprit humain, avec la société humaine, l’abîme de l’irresponsabilité morale où tomberaient les âmes… ; en un mot, la fin du monde civilisé, tel qu’il a été conçu jusqu’ici et qu’il a existé depuis la première cité et le premier autel. […] Ce qu’on appelle instinct et qui semble à d’autres d’une portée infaillible ne trompe pas mon sage ; il y applique son analyse ; il en démêle le principe et le jeu ; il s’en rend compte d’après les lois de l’optique morale. […] Boutmy dans la Presse , du 27 août 1864. incompatibilité profonde avec l’esprit humain, avec la société humaine, l’abîme de l’irresponsabilité morale où tomberaient les âmes… ; en un mot, la fin du monde civilisé, tel qu’il a été jusqu’ici conçu et qu’il a existé depuis la première cité et le premier autel.