Léon de Wailly L’intention, qui est presque tout dans l’ordre moral, ne compte pour rien dans l’ordre intellectuel ; l’art ne s’occupe que des résultats obtenus.
Ce sont ses mémoires à bâtons rompus, ses confessions : Je ne me suis laissé aller, dit-il, à composer de pièces et d’idées détachées ce recueil historique, moral et philosophique, que pour ne pas perdre les petits traits épars de mon existence ; ils n’auraient pas mérité la peine d’en faire un ouvrage en règle, et je ne donne à ce petit travail que des minutes très rares et très passagères, croyant devoir mon temps à des occupations plus importantes. […] Ce n’était pas, comme l’avait été Vauvenargues, un jeune stoïque croyant fermement aux vérités morales et se fondant sur les points élevés de la conscience pour fuir le mal et pour pratiquer le bien, ce n’était point une âme héroïque condamnée par le sort à la souffrance et à la gêne de l’inaction : c’était une âme tendre, timide, ardente, pleine de désirs pieux et fervents, inhabile au monde et à ces scènes changeantes où elle ne voyait que des échelons et des figures, avide de se fondre dans l’esprit divin qui remplit tout, de frayer sans cesse avec Dieu, de le faire passer et parler en soi, une âme née pour être de la famille des chastes et des saints, de l’ordre des pieux acolytes, et à qui il ne manquait que son grand-prêtre. […] Tout en admettant sans contrôle et sans critique le merveilleux qui faisait le fond et l’attrait de ce genre d’opérations, Saint-Martin, plus tourné au moral, ne se livrait pas sans réserve à des procédés où la curiosité s’irritait sans cesse et où le cœur profitait si peu ; et lorsqu’en 1792, à Strasbourg, il lui fut donné auprès d’une amie, Mme Boechlin, de connaître les ouvrages allemands de Jacob Boehm, qu’il appelle le Prince des philosophes divins, il crut pouvoir renoncer absolument à toute cette physique périlleuse et pleine de pièges, pour ne plus cultiver que la méditation intérieure.