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588. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

Et en le lisant, ce chapitre, on comprendra enfin que ce qui semblait un vulgaire sentiment humain, traînant encore dans une grande âme dévorée de Christianisme, était, au contraire, tout ce qu’il y avait au monde de plus chrétien, puisque c’était le sentiment exaspéré d’un apostolat impossible ! […] Mais le mystique, à la parole perdue dans le désert d’hommes sans écho de ce monde ambiant, a dû nécessairement se détourner quelque peu des choses divines pour envisager les choses humaines qu’il voulait voir, et il les a percées d’un tel regard que le monde, inattentif et indifférent au mystique, prendra peut-être garde à l’observateur ! […] Dans l’absorption religieuse où il a vécu, il ne s’est pas, comme eux, déchiré aux dures réalités de ce monde et il n’a pas, comme eux, l’âpre ressentiment qui donne à leur talent et à leurs œuvres cette saveur amère que recherche et qui tonifie la faiblesse de nos cœurs froissés… L’auteur de ces Plateaux de la balance est bien plus le moraliste de l’esprit que le moraliste du cœur. […] J’ai voulu la faire ; j’ai voulu la penser ; j’ai voulu la parler ; j’ai voulu mettre à leur place les hommes et les choses ; j’ai voulu prendre leur mesure et la donner… J’ai promené la balance à travers le monde intellectuel, n’ayant qu’un poids et qu’une mesure, et j’ai laissé les plateaux monter et descendre comme ils voulaient, abandonnés aux lois de l’équilibré… Les chapitres de ce livre ne sont pas juxtaposés par une unité mécanique, mais ils sont liés, si je ne me trompe, par une unité organique, et cette unité, c’est la faim et la soif de la « Justice. » Et comme le mystique ne s’éteint jamais, ainsi que je Fai dit, dans M.  […] Hello) d’un livre qui va nous promener parmi les hommes et les choses du monde contemporain, et nous donner sur eux et sur elles ridée qu’il faut en avoir et le sentiment qu’ils doivent inspirer.

589. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Bien avant ce livre, du reste, et avant moi, en 1862, un écrivain catholique, que les hommes du monde appelleraient « un voyant » en matière humaine et littéraire, et les esprits religieux « un mystique » de surnaturelle pénétration, Ernest Hello, avait montré, dans un très beau et très touchant travail de critique, que Michelet était chrétien dans la racine même de son être, et comment le christianisme naturel qu’il avait tout fait pour s’arracher de l’âme aurait, s’il l’y avait laissé, donné à son talent toute la beauté de sa destinée. […] Il n’en eut jamais la clef, puisqu’il ne connut pas Jésus-Christ, qui est l’Unique raison des choses, et loin duquel le monde est une énigme sans mot. […] Mais cette damnation de ce monde ne le sauvera pas d’une autre, de ce monde aussi, qui est commencée et qu’assurément il ne prévoyait pas… C’est l’indifférence méprisante des hommes pour lesquels il a le plus fait et à qui il a sacrifié le meilleur de son âme. […] Si Michelet revenait au monde, on l’appellerait « une vieille barbe », comme on l’a dit même de Victor Hugo ! […] Avant lui, les héros qu’il raconte l’avaient transposée… Ils étaient dans l’ignorance du Dieu de leurs pères, qui avait été pendant des siècles le Dieu de la patrie, mais ils étaient des soldats comme les premiers soldats chrétiens, comme Sébastien, Saint Maurice et Saint Georges ; ils étaient des soldats comme les Croisés, comme Bayard, et comme tout ce qu’en fait de soldats le Christianisme a produit de plus pur et de plus héroïque dans l’histoire du monde !

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