La pièce met en scène des personnages chimériques, agités par des incidents fantastiques ; elle crée un monde à la renverse, où tout est retourné et défiguré : le sens dessus dessous est complet. […] Il s’est glissé, en spectateur, sinon en acteur, sur le théâtre du monde de plaisir. […] L’opinion du monde, l’opprobre d’un procès public, l’honneur de sa famille, le respect de son nom, la voilà prête à fouler aux pieds tout cela, pour posséder l’homme qu’elle aime et pour se perdre avec lui. […] Lorsque son mari lui demande éperdument si elle l’aime, elle lui répond avec une franchise altière : « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. […] Ce qu’il a voulu, c’est que, chassée par son mari, mise au ban du monde, elle n’eut plus d’autres ressources que de se jeter dans ses bras.
« Vous savez la force meurtrière d’Ajax2, et comment, à une heure avancée de la nuit, se perçant de son propre glaive, il mit un reproche éternel sur tous les enfants des Hellènes venus il Troie ; mais Homère l’a honoré parmi les hommes ; et, en relevant toute la vertu d’Ajax, il a ordonné, de par le rameau de feuillage, au reste du monde, de se plaire toujours à ses chants inspirés ; car, si quelqu’un dit quelque chose en beaux vers, cette parole, une fois proférée, chemine toujours vivante ; et sur la terre et à travers les mers le rayon de la gloire a marché, sans s’éteindre jamais ! […] Nous donne-t-il, par exemple, comme échantillon pindarique, la douzième olympique, l’ode à la Fortune, cette hymne courte et sublime, chantée à l’occasion de la victoire, qu’est venu chercher dans les fêtes des grandes cités de la Grèce un Crétois, chassé par une faction de Gnosse, sa patrie, où il avait langui longtemps dans les querelles obscures d’une petite démocratie, il se garde bien d’être simple et uni comme le poëte grec : il ne nomme pas ce coq guerroyant au logis, auquel Pindare compare son jeune héros, avant qu’il eut été délivré par l’exil et jeté par ce coup du sort en Sicile, pour y devenir citoyen paisible de la ville opulente d’Himère, et de là, vainqueur à Olympie : « Je n’ai osé, dit-il, me servir de ce mot de coq3, qui produirait un mauvais effet en français, et qui suffirait pour gâter la plus belle ode du monde. […] Mais il ne lui prit jamais, et il ne sut produire, à son exemple, ni ces maximes de calme et de profonde sagesse qui rayonnent d’un éclat pur, au milieu des splendeurs poétiques, ni ces mouvements d’âme, ces rapides évolutions de pensées les plus vives qu’il y ait au monde, ni cette précision singulière en contraste avec l’abondance des images, ni ce mélange, ce choc rapide du sublime et du simple, du terme magnifique et du terme familier, ni cette propriété toute-puissante qui rend présent à tout ce que le poëte a vu dans son plus rare délire. […] Elle est dans le mouvement inné des deux âmes et dans certaines dispositions d’esprit qui leur sont communes, en dépit de la prodigieuse différence des temps et de tous les renouvellements du monde. […] Ce n’est pas seulement le même cri de guerre, le même accent d’une âme belliqueuse ; le vêtement et comme l’armure a passé d’un monde à l’autre.