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1002. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Son esprit comme son cœur porta toujours l’empreinte de ces deux moments. […] Dans ce conflit ardent, il y eut sans doute des moments qui eussent été décisifs si un homme puissant s’était rencontré pour les fixer au passage et les saisir. […] Droz, du rivage élevé où il est assis, et avec la réflexion du sage, se plaît à nous indiquer du doigt quels eussent pu être ces moments fugitifs : mais qu’étaient-ils sans l’homme capable et supérieur qui, seul, eût pu en tirer parti, leur donner en quelque sorte l’existence historique, et en faire des époques véritables ? […] Droz, et qu’il désigne volontiers comme ayant entrevu d’avance le but le plus raisonnable de la Révolution française, est celui de Mounier, Malouet, Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre, le groupe des impartiaux qui voulaient alors deux Chambres et une monarchie constitutionnelle, cette fameuse monarchie tant de fois définie, toujours désirée et insaisissable, qu’on crut posséder un moment sous la Restauration, qu’on se flatta d’avoir retrouvée et reconstruite sous main pendant les dix-huit années de Louis-Philippe, et que des spéculatifs peut-être caressent en idée et rêvent encore.

1003. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Il avait cinquante ans et davantage ; je n’en avais que dix-neuf ; mais la disproportion de nos âges ne me faisait point de peur ; bien loin de cela, je le cherchais comme on cherche une maîtresse, et les moments que je passais auprès de lui ne me duraient guère plus qu’ils ne me durent auprès de vous (c’est à une dame que Patru adresse ce récit) ; il m’aimait comme un père aime son fils. […] Cet ensemble d’anecdotes sur la jeunesse de Patru nous le montre bien, dans la vérité primitive de son caractère, aimable, je le répète, liant et séduisant, un garçon d’esprit et de plaisir, honnête homme au milieu de ses distractions gauloises, désintéressé, déjà mal à l’aise et se méfiant de la fortune, ne se sentant pas assez de force pour la maîtriser et pour épouser courageusement la femme qu’il aime, du moment qu’elle devient veuve et qu’elle est libre. […] Le père Bouhours, l’un de ses admirateurs et de ses disciples, et qui l’assista dans ses derniers moments, a dit : Les malheurs d’autrui le touchaient plus que les siens propres, et sa charité envers les pauvres, qu’il ne pouvait voir sans les soulager, lors même qu’il n’était pas trop en état de le faire, lui a peut-être obtenu du ciel la grâce d’une longue maladie, pendant laquelle il s’est tourné tout à fait vers Dieu ; car, après avoir vécu en honnête homme et un peu en philosophe, il est mort en bon chrétien dans la participation des sacrements de l’Église et avec les sentiments d’une sincère pénitence. […] On raconte que Bossuet l’étant allé voir, lui dit : « On vous a regardé jusqu’ici, monsieur, comme un esprit fort ; songez à détromper le public par des discours sincères et religieux. » — « Il est plus à propos que je me taise, répondit Patru mourant ; on ne parle dans ses derniers moments que par faiblesse ou par vanité. » Il mourut le 16 janvier 1681, à l’âge de soixante-dix-sept ans.

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