» — On sait ce qui reste du poème rêvé par André Chénier sur la nature vue à travers la science moderne : un amas de notes où se marque le plan qui va toujours grandissant dans la tôle du poète, où l’on sent partout, à travers une prodigieuse variété de lectures, de citations, de souvenirs, un souffle irrésistible qui les anime et les soulève, et sous ce souffle impérieux et fécond des germes qui ne demandent qu’à éclore, et parmi ces semences pressées de l’ouvrage futur, quelques-unes qui lèvent déjà, qui éclatent avant le temps, par une sorte d’impatience, produisant des fragments admirables, ou des vers d’une vitalité prématurée, de ces vers qui vivent, bien qu’isolés, d’une vie propre et qui entrent d’emblée dans la mémoire des hommes, où ils ne meurent plus. […] Aujourd’hui que ces tentatives se renouvellent parmi nous, il est intéressant de se demander dans quelle mesure et à quelles conditions la science moderne, si vaste et si complexe, peut devenir l’objet et la matière de la poésie. […] Sa langue si pure, si habile, si nuancée, quand il reste dans les sujets antiques ou dans ceux qui n’ont pas d’âge, ceux que fournit le cœur humain, éternel dans ses douleurs, dans ses passions et ses joies, cette même langue s’embarrasse et se trouble dès qu’elle touche à des idées scientifiques ou à des pensées modernes que le vers français n’était peut-être pas encore en état de soutenir et d’exprimer. […] Il y a eu comme un grand travail d’accumulation des idées scientifiques dans l’esprit moderne. […] II En attendant qu’un André Chénier plus moderne, joignant la même imagination aux connaissances les plus vastes et les plus précises, recommence l’œuvre d’Hermès et tente l’épopée de la science, voici qu’un poète, singulièrement estimé des connaisseurs et qui dans quelques courtes pièces d’amour, de fantaisie ou de sentiment a touché plusieurs fois à la perfection de son art (Le Vase brisé, Les Danaïdes, etc.), a conçu la pensée d’élargir son cadre et de renouveler son inspiration.
Les Spartiates exposaient l’ilote ivre devant leurs fils pour les dégoûter de l’ivresse ; mais nous ne valons pas les Spartiates, ces moines militaires de l’Antiquité, comme les appelle un moderne. […] Tels ils furent et tels ils différèrent, Rousseau et Proudhon, les deux hommes d’idée qui ont certainement le plus fait pour le démocratie moderne. […] Il l’a prise comme le monde moderne l’a faite ; il l’a prise avec tous ses orgueils et toutes ses prétentions, pères et mères de tous ses autres vices, et elle n’a pas pesé beaucoup dans la trompe étouffante du colosse. […] Mais, né après Rousseau et de Rousseau, fou de sciences folles, né ouvrier, — dans un temps où la révolution des ouvriers se prépare contre les bourgeois avec la logique vengeresse des révolutions, — ouvrier lui-même, ayant mis la main à la pâte, il a été la victime de son siècle, le déforme de son siècle et de son berceau, qui n’ont pas tué son génie mais qui l’ont horriblement gauchi, mais pas encore de manière, cependant, qu’on n’aperçoive ces deux belles lignes qui, en talent, font les camées : le bon sens et la pureté de cœur, XVI Il les a retrouvées — intégralement retrouvées — dans le livre que voici, où il ne s’agissait plus des progrès chimériques de l’esprit humain, — la griserie des cerveaux modernes, — mais de la morale éternelle, — mais du rapport éternel de l’homme et de la femme, — mais de la famille, base, pour Proudhon comme pour Bonald, de toute société. […] Le livre de Proudhon intitulé : La Pornocratie, s’appelle aussi : Les Femmes dans les temps modernes, et il est bien nommé !