Sans Ligeia et Morella, où le poète inattendu et puissant jaillit d’une idée ridicule, que le monde moderne, qui n’a pas d’idées à lui, a trouvée dans le bagage de l’Orient et de l’Antiquité, — la métempsycose, — il n’y aurait pas un seul des Contes publiés là qui pût être considéré autrement que comme les tours de force d’un jongleur. […] Ainsi, matérialiste, américain, moderne, victime et courtisan des billevesées du xixe siècle, plus commun en cela qu’il ne croit lui-même, tel nous trouvons Edgar Poe dans ce premier volume qui fait désirer vivement le second. […] Edgar Poe, méconnu et presque inconnu pendant toute sa vie, perdu en une errance mystérieuse dans, laquelle on ne le suit pas, traîna la plus horrible pauvreté dans une société qui se vante d’être le dernier mot de la civilisation moderne, et qui lui fut aussi dure, aussi étouffante, aussi atroce d’indifférence que les temps primitifs et barbares de la Grèce le furent pour Homère, le mendiant sacré, nourri du moins des olives et du pain noir des pasteurs !
L’envie de se distinguer a ramené depuis le style des Précieuses ; on le retrouve encore dans plusieurs livres modernes. […] Mme Dacier, qui a fait honneur à son sexe par son érudition, et qui lui en eût fait davantage si avec la science des commentateurs elle n’en eût pas eu l’esprit, fit une dissertation pour prouver que l’Amphitryon de Plaute était fort au-dessus du moderne ; mais ayant ouï dire que Molière voulait faire une comédie des Femmes savantes, elle supprima sa dissertation. […] On n’oserait aujourd’hui hasarder la scène où le Tartuffe presse la femme de son hôte ; on n’oserait se servir des termes de Fils de putain, de Carogne, et même de Cocu ; la plus exacte bienséance règne dans les pièces modernes.