Je ne suis pas de ceux qui, par une estime exagérée, mettent les pièces et les matériaux au-dessus de l’œuvre définitive ; mais comme les monuments historiques vraiment dignes de ce nom sont rares, comme ils se font longtemps attendre, et comme d’ailleurs ils ne sont possibles et durables qu’à la condition de combiner et de fondre dans leur ciment toutes les matières premières, de longue main produites et préparées, il n’est pas mauvais que celles-ci se produisent auparavant et soient mises en pleine lumière ; ceux qui aiment à réfléchir peuvent, en les parcourant, s’y tailler çà et là des chapitres d’histoire provisoire à leur usage ; ce ne sont pas les moins instructifs et les moins vrais. […] M. d’Ormesson ne jugea pas à propos de quitter Paris ; il fut même choisi par le duc de Mayenne pour être du fameux conseil, de si mauvais renom, les Seize ; mais il en fut comme M. de Villeroy, comme le président Jeannin, pour modérer, s’il était possible ; il était de plus capitaine de son quartier. […] Il dut, pour se disculper d’un reproche qu’il méritait si bien, contribuer de mille écus pour la rançon du prévôt des marchands, Marteau, arrêté à Blois, et s’engager encore pour d’autres sommes plus considérables, au risque de voir sa maison, si nette auparavant, s’embrouiller pour une si mauvaise cause ; mais « de deux maux, nous dit son fils, il choisit le moindre ; autrement on l’eût chassé de Paris, pillé ses meubles et confisqué ses biens ».
Nous sommes obligés de connaître Rome, comme des petits-fils de connaître leur vieille mère. » Il montrait que ce n’est pas tant à l’Université qu’il faut s’en prendre des maladies morales de la jeunesse qu’aux familles elles-mêmes, à l’esprit public et à l’air vicié du dehors, à la littérature enfin ; et faisant allusion à la grande plaie, selon lui régnante, au roman, il appelait de ses vœux un roman pareil à Don Quichotte, c’est-à-dire qui mît à la raison tous les mauvais romans du jour ou de la veille, et en sens inverse de Don Quichotte ; car, en ce temps-là, c’était la chevalerie, avec sa fausse exaltation idéale, qui était la maladie à la mode, et du nôtre c’est le contraire : « c’est le goût du bien-être personnel, c’est l’amour des jouissances positives, c’est l’égoïsme, c’est Sancho, en un mot, et non pas Don Quichotte. […] Dans le second discours, prononcé à Louis-le-Grand, s’inquiétant moins des attaques du dehors, il disait agréablement et en famille bien des vérités à la jeunesse : non pas qu’il fut décidé à louer le passé en tout aux dépens du présent : « Cette élégie sur la décadence perpétuelle du genre humain est d’ancienne date, disait-il ; elle a probablement précédé l’Iliade, et j’affirmerais volontiers que l’aïeul de Nestor lui a reproché plus d’une fois de n’être, en comparaison du vieux temps, qu’un parfait mauvais sujet. » Mais, tout en se gardant des banalités du lieu commun, il opposait, dans un parallèle ingénieux, l’éducation sévère ef terrible d’autrefois à celle d’aujourd’hui, si molle et si propre à faire de petits sybarites ; l’élève choyé de Louis-le-Grand était mis en présence de l’écolier si souvent fouetté et si affamé de Montaigu : « Et cependant, dans ces séjours terrifiés, on voyait accourir en foule une jeunesse prête à tout souffrir, la faim, le froid et les coups, pour avoir, le droit d’étudier. […] Il s’en fallut de peu, à un moment, que l’auditoire ne le trouvât mauvais.