Voici des personnages que les circonstances de leur état, de leur caste, de leur sexe, de leur intelligence naturelle destinent à des manières d’être précises et qui excitent notre rire parce qu’un engouement les détermine à se concevoir autres que ne les a faits la nature et la société, à assumer un rôle où ils trébuchent, où leur inexpérience leur fait commettre mille bévues, où le milieu les dessert constamment. […] L’opinion, qui exalte ces manières de sentir, persuade à chaque individu qu’il est indigne de ne pas les éprouver et plus d’un les accepte pour règle de sa conduite, par crainte du mépris d’autrui et de soi-même, qui ne les eût pas soupçonnées si elles ne lui avaient été imposées par ouï-dire. […] Il va donc tenir pour suspectes les manières de penser les plus générales. […] On ne rappellera ici que certaine manière de donner la main en écartant le coude et relevant l’épaule d’un geste saccadé qui, durant un temps, classa son homme parmi ceux du bon ton et fut un brevet de distinction.
Il faut donc lire les bons ouvrages dramatiques ; mais ici encore il y a une manière particulière de lire et tout à fait particulière. […] Sans pousser cette sollicitude jusqu’à une sorte de manie, il ne faut jamais oublier, en effet, que le théâtre antique est sculptural, que les personnages y forment des groupes harmonieux faits pour satisfaire les yeux amoureux de la beauté des lignes autant que l’esprit amoureux de la beauté des pensées ; que les Grecs ne cessent jamais d’être artistes et qu’il faut nous faire artistes nous-mêmes pour goûter leur théâtre, sinon autant qu’ils le goûtaient, du moins de la manière, d’une des manières, et importante, dont ils le goûtaient. […] Et enfin, il reste quelque chose de la critique, parce que, à la vérité, Shakespeare a été trop grand poète et particulièrement trop grand poète lyrique pour ne pas, un peu, faire parler ses principaux personnages d’une manière qui ne les distingue pas suffisamment les uns des autres.