C’est là, c’est devant cette enfilade de colonnes encore debout et de fûts renversés que Volney établit son voyageur ou plutôt s’établit lui-même comme une espèce d’Ossian arabe ou turc, méditant après le coucher du soleil sur les vicissitudes des empires : « Je m’assis sur le tronc d’une colonne ; et là, le coude appuyé sur le genou, la tête soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m’abandonnai à une rêverie profonde. » La gravure qui était en tête du volume, et qui a été souvent reproduite depuis, représente le voyageur dans cette pose un peu solennelle. […] Après le dîner, pendant que celui-ci causait vivement et tenait à la main sa tasse de café trop chaude, Volney, tout en l’écoutant, la lui prenait, la posait sur la cheminée, la touchait de temps en temps ou l’approchait de sa joue pour s’assurer du degré de chaleur, et la lui vendait quand elle était à point : Bonaparte, dans sa conversation rapide, ne s’était pas aperçu du manège, dont plus d’un assistant avait souri. […] À quelqu’un qui, vivant à la campagne, regrettait la ville, Volney racontait une anecdote de Diderot, qui avait au château de Meudon une jolie chambre où il n’allait jamais, et qui répondait un jour à Delille en refusant de la lui céder : « Mon cher abbé, écoutez-moi ; nous avons tous une chimère que nous plaçons loin de nous ; si nous y mettons la main, elle se loge ailleurs ; je ne vais point à Meudon, mais je me dis chaque jour : J’irai demain ; si je ne l’avais plus, je serais malheureux. » — Vous, Monsieur, qui vivez à la campagne, continue Volney, vous avez placé votre chimère à la ville ; mais que l’exemple de Diderot vous serve.
On ne s’occupe pas assez des mauvais écrivains ; je veux dire qu’on les devrait châtier d’une main plus ferme. […] Il faut une grande force de réaction personnelle, une grande énergie cellulaire pour résister à la douce facilité d’ouvrir la main sous le fruit qui tombe : il est si agréable et si naturel à l’homme de se nourrir du jardin qu’il n’a bêché, ni semé, ni planté. […] Presque tout le théâtre de Casimir Delavigne, d’Emile Augier, de Ponsard est rédigé dans ce style, qui est aussi celui des Janin, des About, des Méry, des Feuillet . « C’était, dit About, comme un roseau fêlé qui plie sous la main du voyageur. » Ici le copiste amis une date au bas de sa sottise ; elle est certainement contemporaine de la vogue du « Vase brisé ».