Je ne viens pas concourir comme bien l’on pense, ni anticiper non plus sur un jugement dans lequel j’entrerai très peu : je ne veux que rendre à ma manière, et comme quelqu’un du dehors, l’impression qu’a faite sur moi la lecture de Froissart, la rejoindre et la comparer à cette autre impression que m’ont produite les mémoires de Joinville. […] Ce qui était le plus important à l’âge et à l’époque de Froissart, c’était précisément d’amasser ces matériaux, de les posséder et de les disposer dans toute leur étendue et dans leur richesse ; et c’est ce qu’il a fait avec un zèle, une ardeur infatigables, et avec un sentiment élevé du service qu’il rendait à ses contemporains et à la postérité en conservant ainsi la mémoire des grands événements et des nobles prouesses. […] sens, mémoire et bonne souvenance de toutes les choses passées, esprit clair et aigu pour concevoir tous les faits dont je pourrois être informé, âge, corps et membres pour souffrir peine24, je m’avisai que je ne voulois point tarder de poursuivre ma matière ; et pour savoir la vérité des lointaines besoignes et entreprises, sans que j’y envoyasse aucune autre personne en mon lieu, je pris voie et occasion raisonnable d’aller devers haut prince et redouté seigneur monseigneur Gaston, comte de Foix et de Béarn… Le comte de Foix ne l’a jamais vu, mais il le connaît de réputation et a bien souvent entendu parler de lui. […] ci vous ne les perdrez pas, car toutes seront mises en mémoire, en récit et chronique dans l’histoire que je poursuis, si Dieu m’accorde que je puisse retourner sain et sauf dans la comté de Hainaut et en la ville de Valenciennes dont je suis natif.
Et pour le définir lui-même dès à présent au moyen de La Fontaine et par l’idée qu’il nous en donne, citons ce qu’on lit à la dernière page de l’espèce de registre, assez peu intéressant d’ailleurs, qu’on appelle les Mémoires de Maucroix ; mais ce témoignage si simple et si naturellement rendu a bien du prix : Le 13 avril 1695, mourut à Paris mon très cher et très fidèle ami M. de La Fontaine ; nous avons été amis plus de cinquante ans, et je remercie Dieu d’avoir conduit l’amitié extrême que je lui portais jusques à une si grande vieillesse, sans aucune interruption ni aucun refroidissement, pouvant dire que je l’ai toujours tendrement aimé, et autant le dernier jour que le premier. […] Questions et réponses ont disparu ; mais on en a idée par les factums et mémoires de Fouquet. […] Cette fâcheuse fin de son voyage à Rome lui en gâta tout le plaisir s’il en eut, et on ne le voit jamais revenir ensuite sur ses impressions d’Italie ; il semble n’avoir nullement rempli la recommandation de La Fontaine, qui lui écrivait à la fin de sa lettre sur les Fêtes de Vaux : « Adieu, charge ta mémoire de toutes les belles choses que tu verras au lieu où tu es. » Malgré son vœu d’être en repos, Maucroix eut quelques devoirs à remplir pendant certaines années : le chapitre le choisit pour l’un de ses deux sénéchaux, et le chargea de défendre ses intérêts, ses prérogatives. […] Maucroix en a consigné le récit dans des mémoires qui sont pour nous de peu d’intérêt : ce sont des querelles de chapitre à prélat, une vraie guerre de Lutrin, moins la gaieté.