Tout ce qui est resté gravé dans ma mémoire, c’est que nous avons été bien heureux et bien malheureux, et qu’il y avait pour nous bien du soleil à Sin75, bien des fleurs dans les fortifications ; un bien bon père dans notre pauvre maison, une mère bien belle, bien tendre et bien pleurée au milieu de nous ! […] Ce qu’il faut dire à la décharge de sa mémoire, c’est qu’il avait de l’humanité ; que Mme Valmore n’avait jamais invoqué vainement en lui le compatriote et le pays ; qu’elle lui demandait chaque année des grâces pour étrennes, — des délivrances de prisonniers ; qu’elle avait une manière de les lui demander en glissant un mot de patois flamand (acoute’m un peo, écoutez-moi un peu !) […] « Amior volat, currit et lætatur ; liber est, et non tenetur. » La lettre de Mme Valmore m’a remis en mémoire ce verset de l’Imitation.
Quelquefois un testament olographe, c’est-à-dire les mémoires du grand homme, écrits par lui-même, viennent couper court aux nombreuses versions qui déjà circulent. […] Quand je me dis combien de manières il y a de mal observer un homme qu’on croit bien connaître, de mal regarder, de mal entendre un fait qui se passe presque sous les yeux ; quand je songe combien d’arrivants béats et de Brossettes apprentis j’ai vu rôder, le calepin en poche, autour de nos quatre ou cinq poëtes ; combien d’inconstantes paroles jetées au vent pour combler l’ennui des heures et varier de fades causeries se sont probablement gravées à titre de résultats sentencieux et mémorables ; combien de lettres familières, arrachées par l’importunité à la politesse, pourront se produire un jour pour les irrécusables épanchements d’un cœur qui se confie ; quand, allant plus loin, je viens me demander ce que seraient, par rapport à la vérité, des mémoires sur eux-mêmes élaborés par certains génies qui ne s’en remettraient pas de ce soin aux autres, oh ! […] Cette prise heureuse sur la mémoire des hommes (la source d’inspiration d’ailleurs y poussant) est due au refrain pour les paroles, au cadre pour l’idée.