Il lui demande, lorsqu’elle a perdu son lionceau, et qu’elle rugit de désespoir, « si tous les enfants qui lui sont passés par les dents n’avaient ni père ni mère. »68 Il appuie, et vigoureusement ; ce n’est pas lui qui, par ménagement, évitera d’employer les arguments personnels. « Si tant de mères se sont tues, que ne vous taisez-vous aussi ? […] Et ne parlait incessamment Que de sa mère la jument, Dont il contait mainte prouesse Elle avait fait ceci, puis avait été là. […] Tous les enfants Qui vous sont passés par les dents N’avaient-ils ni père ni mère ?
Les nobles se crurent insultés, et sur-le-champ l’abbé Dunstan s’en fut lui-même chercher le jeune homme. « Il trouva la femme adultère, dit le moine Osbern, sa mère et le roi ensemble sur le lit de débauche. […] Les femmes des chefs vinrent près d’elle, et chacune pour la consoler lui conta ses propres peines, toutes les calamités des grandes dévastations et de l’antique vie barbare. « Alors parla Gjaflogd, — sœur de Gjuki : — « Je sais que sur la terre — je suis entre toutes la plus dénuée de joie. — De cinq maris — j’ai souffert la perte, — et aussi de deux filles, — de trois sœurs, — de huit frères ; — pourtant me voilà, et je survis seule. » — Alors parla Herborgd, — reine de la terre des Huns : — « Moi j’ai à raconter — un deuil plus cruel. — Mes sept fils, — dans la région de l’Est, — et mon mari le huitième — sont morts dans la bataille. — Mon père et ma mère, — mes quatre frères, — le vent a joué avec eux — dans la mer. — Le flot a battu — le plancher de leur vaisseau. — Moi-même j’étais forcée de recueillir leurs corps, — moi-même j’étais forcée de veiller à leur sépulture, — moi-même j’étais forcée — de faire leurs funérailles. — Tout cela, je l’ai souffert — en une année, — et pendant ce temps, — nul d’entre les hommes — ne m’a apporté de consolation. — Cependant j’étais enchaînée — et captive de guerre, — quand six mois de cette année se furent écoulés. — J’étais forcée de parer — la femme d’un chef de guerre — et de lui attacher sa chaussure — chaque matin. […] — Les muscles avaient été arrachés, — les jointures des os avaient craqué. — La victoire dans la bataille — était pour Beowulf. — Grendel était contraint — de fuir, atteint à mort, — dans son refuge des marais, — de chercher sa lugubre demeure. — Il savait bien — que la fin de sa vie — était venue, — que le nombre de ses jours était rempli. » Car il avait laissé par terre sa main, son bras et son épaule, et dans le lac des Nicors, où il s’était renfoncé, « la vague enflée de sang bouillonnait, la source impure des vagues était bouleversée toute chaude de poison, la teinte de l’eau était souillée par la mort, des caillots de sang venaient avec les bouillons à la surface. » Restait un monstre femelle, sa mère, « qui habitait comme lui les froids courants, et la terreur des eaux », qui vint la nuit, et qui parmi les épées nues, arracha et dévora encore un homme, Œschere, le meilleur ami du roi. […] « Pour toi une maison fut bâtie — avant que tu fusses né. — Pour toi un moule fut façonné — avant que tu fusses sorti de ta mère ; — sa hauteur n’est point marquée, — ni sa profondeur mesurée ; — il ne sera point fermé, — si long que soit le temps, — jusqu’à ce que je t’amène — là où tu resteras, — jusqu’à ce que je mesure — toi et les mottes de la terre. — Ta maison n’est pas à haute charpente. — Elle n’est pas haute, elle est basse — quand tu es dedans. — L’entrée est basse. — Les côtés ne sont pas hauts. — Le toit est bâti — tout près de ta poitrine. — Ainsi tu habiteras — dans la terre froide, — obscure et noire, — qui pourrit tout. — Sans portes est cette maison, — et il fait sombre au dedans. — Là, tu es solidement retenu, — et la mort tient la clef. — Hideuse est cette maison de terre, — et il est horrible d’habiter dedans. — Là, tu habiteras, — et les vers avec toi. — Là, tu es déposé, — et tu quittes tes amis. — Tu n’as pas d’ami — qui veuille venir avec toi. — Qui jamais s’enquerra — si cette maison t’agrée !