L’une de ces idées était l’idée de la Loi. […] Qu’il le veuille ou non, tout conteur aboutit à dégager une loi. […] C’en est un autre que la pièce de Sophocle où Antigone en appelle des lois iniques aux lois divines, qui précèdent les autres et les redressent par avance. […] Le sage, lui, qui pense ces lois, ignore donc l’amour et la haine. […] Comme il y a des lois de la nature politique, il y a des lois de la nature littéraire.
On s’est trop contenté jusqu’ici d’expliquer le rôle des dissonances et du laid dans l’art par la loi des contrastes, par la nécessité de sensations variées pour réveiller la sensibilité : Certes, un ciel toujours clair fatiguerait ; il faut des nuages. […] Sous ce rapport, l’art suit nécessairement le développement de la science, pour laquelle il n’y a rien de petit, de négligeable, et qui étend sur toute la nature l’immense nivellement de ses lois. […] Il a reposé sa vue « sur l’immensité des êtres paisiblement soumis à des lois nécessaires », il a mesuré les choses et les êtres plutôt qu’il ne les a peints : il saisit bien la forme, le fond lui échappe ; il embrasse, il ne pénètre pas. […] Le momentané, l’exceptionnel ne devient objet d’art qu’à la condition d’être aperçu d’un point de vue large, et comme par l’œil d’un philosophe, d’être ramené aux lois de la nature humaine et de devenir ainsi, en quelque sorte, une des formes de l’éternel. […] Si, en vertu de cette loi d’évolution, la vie pénètre et ondoie partout, son niveau ne monte pourtant que par degrés, suivant un étiage régulier.