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572. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

C’était le temps du tonitruant succès de ce grand roman d’aventure à travers un monde que jusque-là la littérature n’avait pas osé aborder. […] Trop philosophe et trop libertin pour avoir le génie de la passion, cette source inépuisable du roman de grande nature humaine, le dix-huitième siècle, le siècle de l’abstraction littéraire comme de l’abstraction philosophique, qui n’eut ni la couleur locale ni aucune autre couleur, — qui ne peignit jamais rien en littérature, — car Rousseau, dans ses Promenades, n’est qu’un lavis, et Buffon dans ses plus belles pages qu’un dessin grandiose, — ce siècle, qui ne comprenait pas qu’on pût être Persan, dut trouver, le fin connaisseur qu’il était en mœurs étrangères ! […] Je le sais, et je ne m’en étonne pas ; mais qu’aujourd’hui, en plein dix-neuvième siècle, quand les passions et leur étude, et leurs beautés, et leurs laideurs, et jusqu’à leurs folies, ont pris dans la préoccupation générale la place qu’elles doivent occuper ; quand la littérature est devenue presque un art plastique, sans cesser d’être pour cela le grand art spirituel ; quand nous avons eu des creuseurs d’âme, des analyseurs de fibre humaine, des chirurgiens de cœur et de société, enfin qu’après Chateaubriand, Stendhal, Mérimée et Balzac, Balzac, le Christophe Colomb du roman, qui a découvert de nouveaux mondes, la vieille mystification continue et que la réputation de Gil Blas soit encore et toujours à l’état d’indéracinable préjugé classique, voilà ce qui doit étonner ! […] Mais, en littérature, la gestation est volontaire, et si malheureusement il en était de même pour la gestation de l’enfant par la mère, depuis longtemps le monde ne serait plus !

573. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands-pères. […] De mémoire d’historien, jamais peuple n’a éprouvé, dans ses mœurs et dans ses plaisirs, de changement plus rapide et plus total que celui de 1780 à 1823 ; et l’on veut nous donner toujours la même littérature ! […] Nous aurions bientôt la nouvelle tragédie française que j’ai l’audace de prédire, si nous avions assez, de sécurité pour nous occuper de littérature ; je dis sécurité, car le mal est surtout dans les imaginations qui sont effarouchées.

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