/ 2546
646. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

C’est, en général, un mauvais signe pour une époque littéraire que de prodiguer ainsi l’enthousiasme et de déplacer l’admiration. […] Pourquoi venir compromettre d’agréables recherches de biographie littéraire par des assertions générales si gratuites et si hasardées ? […] Fournier, qui lui-même tâche beaucoup et renchérit sur chaque détail, et qui ne laisse rien passer sans en exprimer avec effort un sens caché, je faisais cette réflexion : Des esprits élégants, sans beaucoup de précision, régnaient autrefois dans la littérature ; d’autres leur ont succédé, qui ont essayé d’atteindre à l’exactitude et à la précision, même au prix de quelque élégance ; mais les derniers venus portent ce zèle, cette démangeaison continuelle de la précision ou de ce qu’ils considèrent comme tel à un point de subtilité et de minutie qui, s’il était poussé à un degré de plus, irait jusqu’à déformer les plus beaux sujets littéraires et à n’y rien laisser subsister de naturel. […] Voici, faute de mieux, quelques passages de ses lettres, dans lesquelles il maintient vivement son système de conjectures et semble attribuer à l’histoire littéraire, moins grave, un droit de licence et d’induction que n’autoriserait point la grande histoire, plus sévère. […] Pourquoi en histoire littéraire, chose plus vivante, plus mobile, plus capricieuse, n’aurait-on pas le même droit de fantaisie ?

647. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

L’éducation littéraire sert de peu pour ces sortes d’expressions toutes naturelles, et, si elle n’a pas été excellente, elle serait plutôt capable de les altérer. L’éducation littéraire de Napoléon avait été fort négligée, fort inégale. […] Daunou avait mérité le prix à Lyon dans le concours où, si la distribution s’était faite, Bonaparte n’aurait eu vraisemblablement que le second rang, et jusqu’à la fin il continua de juger, au point de vue littéraire, ce singulier concurrent comme un homme qui a eu le prix juge celui qui n’a eu que l’accessit. […] Les Mémoires de Frédéric et ceux du cardinal de Richelieu prêteraient aussi à un rapprochement ; mais, quoique ces grands hommes, dans les moments essentiels, se dégagent très bien des défauts de manière dont ils ne sont pas exempts, ils restent atteints dans leur ensemble et sont repris parfois, en écrivant, d’une sorte de manie de bel esprit que leur donnaient l’éducation littéraire de leur temps et leur prétention particulière11. […] Réservons donc pour notre usage, pour l’usage de tous, le style littéraire proprement dit, que je distingue du style académique (lequel en son lieu, pourtant, a bien aussi son prix) ; réservons le style des honnêtes gens qui écrivent comme ils pensent, mais qui ne pensent pas avec cette hâte, avec ce mouvement impétueux et impérieux, qui pensent à leur loisir, avec douceur, élévation ou finesse, sans s’interdire certains circuits gracieux et les agréments du chemin.

/ 2546