Pour moi, c’était là un genre de secours qui me manquait quand je lisais Buffon. […] Quoi qu’il en soit, il ne perd aucune occasion de critiquer Réaumur, et pour le fond des idées et pour la forme ; il lui reproche de se noyer dans une immensité de paroles : et en effet Réaumur, lu à côté de Buffon, a le style bien diffus et bien prolixe ; il l’a cependant clair et naturel, et, quand il parle des abeilles, il devient agréable. […] J’ai vu des savants positifs, des observateurs de mérite, mais d’un horizon un peu restreint et rabaissé, qui, lorsqu’ils étaient interrogés sur Buffon, répondaient à peine ; et l’un d’eux me dit un jour : « Il y a encore Bernardin de Saint-Pierre qui a fait de beaux tableaux dans ce genre-là. » Évidemment ces savants de métier, ne trouvant pas chez Buffon le détail précis d’observation qu’ils prisent avant tout, y voyant du général ou du vague (ce qu’ils confondent), y ayant noté des erreurs, n’appréciant point d’ailleurs l’élévation et la nouveauté première de quelques-unes de ses conceptions lumineuses et de ses perspectives, lui rendent le dédain qu’il a eu pour leurs devanciers de même race ; ils exercent sur lui la revanche du naturaliste positif, de l’anatomiste, de l’observateur au microscope, sur l’homme de talent qui les a trop tenus à distance ; ils sont fiers d’être aujourd’hui plus avancés que lui, et, en le rapprochant si fort de Bernardin de Saint-Pierre qu’ils lisent très peu, ils le relèguent parmi les littérateurs purs, oubliant que Buffon a été un génie scientifiquement éducable, ce que Bernardin de Saint-Pierre ne fut jamais. […] Moi qui ai lu toute une correspondance de lui, des lettres de sa jeunesse et de son âge mûr, j’en ai reçu une impression indélébile. […] Les paroles de Goethe citées comme celles d’un oracle ne prouvent pas non plus beaucoup, à les lire sans superstition.
Un des derniers numéros du Bulletin du bibliophile (janvier et février 1854) contient une analyse complète et détaillée, qu’a faite M. le vicomte de Gaillon, du poème de d’Aubigné, Les Tragiques, poème si dur à lire d’un bout à l’autre et dont on ne cite d’ordinaire que des fragments. […] Ludovic Lalanne, publie pour la première fois62 un texte plus exact et véritablement naturel des Mémoires de d’Aubigné, qui ne se lisaient jusqu’à présent que dans une version arrangée et rajeunie : il a mis à la suite du texte tous les fragments tirés de l’Histoire universelle du même auteur, qui se rapportent à sa vie. […] Son texte est pénible à lire d’une manière continue ; il se plaint quelquefois, lui d’humeur si libre, d’avoir à traîner ce « pesant chariot de l’histoire », et le lecteur en porte sa part avec lui. […] Ce discours de d’Aubigné est de toute fierté et de toute beauté ; il le faut lire en entier dans l’original. […] Quand on a beaucoup lu ces auteurs du xvie siècle et des précédents, après qu’on a rendu justice à toutes les qualités de couleur, d’abondance, de franchise, de naïveté ou de générosité première qu’ils ont volontiers ; après qu’on a payé un tribut de regret sincère à ce qui s’est, à cet égard, retranché depuis et perdu, il reste pourtant une qualité qui est nôtre, qui est celle de tout bon écrivain depuis Pascal, et qu’on arrive à goûter, à estimer, j’ose dire à bénir de plus en plus ; qualité bien humble et bien essentielle, imposée désormais aux médiocres comme aux plus grands, et que Vauvenargues a appelée le vernis des maîtres, je veux parler de la netteté.