Son prototype en ce genre était le bourgeois Pierre de L’Estoile, qui a laissé de si curieux Journaux de la Ligue ; ce L’Estoile, esprit libre, épars, et toujours à l’affût, avide de toute particularité et de tout détail, qui appelait Montaigne son vade-mecum, et qui avait pour lui la même prédilection que Marais avait pour Bayle. […] Il a trouvé de plus sensés et de plus judicieux critiques que lui-même, mais on ne lui peut pas ôter un tour libre, galant et même éloquent dans ses vers. […] Voilà un beau trio à la Bastille : Mme de Tencin, l’abbé Margon (un fou satirique), et Voltaire. » Telle était alors la condition des écrivains un peu libres ; ils pouvaient avoir des torts et payer trop volontiers tribut au malin ; mais que dire de la brutalité lâche qui se vengeait sur eux par surprise et en se dérobant ensuite à toute réparation légitime ? […] Ce n’est que les princesses d’Orléans. » Mais il lui dit dans ce ton galant qui était le sien et dont il se piquait : « J’avouerai cependant (et peut-être, monsieur, ceci ne devrait-il être qu’entre vous et moi) que mon suffrage pourrait n’avoir pas été tout à fait aussi libre que ceux du reste de l’Académie.
Jamais langue plus belle, plus riche, plus fine, plus libre, ne fut parlée par des hommes de plus d’esprit et de meilleure race. […] Toute cette conduite est d’une nuance qu’on ne saurait moralement assez apprécier ; ce qui est certain, c’est que des hommes comme Saint-Évremond et Bernier ne sont pas seulement des esprits libres : c’étaient des âmes libres et qui échappaient à Louis XIV. […] Je sais bien qu’au fond et à la rigueur elle peut se défendre ; car, si vous supprimez dans l’amitié tout ce qui en fait le charme et le prix, si vous vous plaisez, par supposition, à retirer une à une toutes les qualités de votre ami ; si, au lieu d’un homme libéral et généreux, vous en faites subitement un maniaque qui tourne à l’avare ; si, au lieu d’un esprit libre, vous supposez qu’il soit devenu sectaire ; si, au lieu d’un être intelligent, vous le supposez en décadence, en enfance, et n’étant plus lui-même, il est bien clair que les conditions de l’amitié sont changées.