/ 2058
307. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Son prototype en ce genre était le bourgeois Pierre de L’Estoile, qui a laissé de si curieux Journaux de la Ligue ; ce L’Estoile, esprit libre, épars, et toujours à l’affût, avide de toute particularité et de tout détail, qui appelait Montaigne son vade-mecum, et qui avait pour lui la même prédilection que Marais avait pour Bayle. […] Il a trouvé de plus sensés et de plus judicieux critiques que lui-même, mais on ne lui peut pas ôter un tour libre, galant et même éloquent dans ses vers. […] Voilà un beau trio à la Bastille : Mme de Tencin, l’abbé Margon (un fou satirique), et Voltaire. » Telle était alors la condition des écrivains un peu libres ; ils pouvaient avoir des torts et payer trop volontiers tribut au malin ; mais que dire de la brutalité lâche qui se vengeait sur eux par surprise et en se dérobant ensuite à toute réparation légitime ? […] Ce n’est que les princesses d’Orléans. » Mais il lui dit dans ce ton galant qui était le sien et dont il se piquait : « J’avouerai cependant (et peut-être, monsieur, ceci ne devrait-il être qu’entre vous et moi) que mon suffrage pourrait n’avoir pas été tout à fait aussi libre que ceux du reste de l’Académie.

308. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Jamais langue plus belle, plus riche, plus fine, plus libre, ne fut parlée par des hommes de plus d’esprit et de meilleure race. […] Toute cette conduite est d’une nuance qu’on ne saurait moralement assez apprécier ; ce qui est certain, c’est que des hommes comme Saint-Évremond et Bernier ne sont pas seulement des esprits libres : c’étaient des âmes libres et qui échappaient à Louis XIV. […] Je sais bien qu’au fond et à la rigueur elle peut se défendre ; car, si vous supprimez dans l’amitié tout ce qui en fait le charme et le prix, si vous vous plaisez, par supposition, à retirer une à une toutes les qualités de votre ami ; si, au lieu d’un homme libéral et généreux, vous en faites subitement un maniaque qui tourne à l’avare ; si, au lieu d’un esprit libre, vous supposez qu’il soit devenu sectaire ; si, au lieu d’un être intelligent, vous le supposez en décadence, en enfance, et n’étant plus lui-même, il est bien clair que les conditions de l’amitié sont changées.

/ 2058