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569. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Louvois, entre autres établissements utiles et durables, a fondé le Dépôt de la Guerre ; c’est dans ce Dépôt que sont conservées toutes les lettres, toutes les dépêches, qui émanent des ministres et secrétaires d’État de la Guerre ou qui s’adressent à eux, les lettres et rapports des généraux, des intendants, etc. […] Son unique oraison funèbre, c’est cette même admirable plume de femme qui l’a faite dans un début de lettre immortel. […] Nouer un commerce intime et de tête-à-tête avec les plus grands hommes d’un grand siècle ; tenir entre ses mains les lettres originales de Louis XIV, de Louvois, de Turenne, de Condé, de Vauban, de Luxembourg et de tant d’autres, dont l’écriture semble encore fraîche, comme si elle était tracée d’hier ; démêler sans peine tous les secrets de la politique et de la guerre ; assister à la conception et à l’éclosion des événements ; surprendre l’histoire, pour ainsi dire, à l’état natif, quelle plus heureuse fortune et quelle plus grande joie ! […] Vous savez mieux que moi qu’il n’y a que les gens qui en usent de la sorte qui soient capables de servir un maître comme il faut. » — « Je ne comprends pas, lui répond Louvois noblement susceptible et délicat à sa manière, ce que veut dire la fin de votre lettre, par laquelle il semble que vous vous excusiez de me dire la vérité avec trop de franchise. Je ne pense point vous avoir jamais témoigné désirer autre chose que de la savoir, et je vous répète présentement que, si j’ai à espérer quelque reconnaissance de vous avoir donné occasion de faire votre fortune, ce ne sera jamais d’autre chose que d’être informé, à point nommé, de ce qui se passe et de ce que vous croyez que l’on doit faire, quand même vous auriez connu par mes lettres que cela est contre mon sens. » On dira de Louvois bien des choses, on ne dira pas qu’il n’avait point la probité de son emploi.

570. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Le prompt succès de cette première partie décida l’auteur à se remettre aux lettres plus résolument que jamais. […] Les publications qu’il multiplia dans ces années montrent à quel point Cervantes, désormais affranchi de tout autre occupation, était redevenu un pur homme de lettres, vidant ses portefeuilles, ouvrant une dernière fois tous ses casiers, tous ses tiroirs, et surtout ceux d’une imagination restée si enjouée et si jeune. […] Il y a un mois, il m’écrivit en langue chinoise et m’envoya la lettre par un exprès pour me prier, ou, pour mieux dire, supplier que je le lui envoyasse, parce qu’il avait dessein de fonder un collège où l’on enseignerait la langue castillane, et il voulait que le livre qu’on y lirait fût l’Histoire de Don Quichotte. […] trop naturellement, en écrivant cette lettre ; car je puis la commencer à peu près dans les mêmes termes : Déjà le pied à l’étrier, en agonie mortelle, Seigneur, je t’écris ceci… Hier, ils m’ont donné l’extrême-onction, et aujourd’hui je vous écris. […] monsieur, lui dit le ministre, je vous en fais mon compliment ; je vous envie le plaisir de lire Don Quichotte dans l’original. » Je ne sais comment le prit l’homme de lettres politique, mais le mot est piquant, et il mérite d’être joint à tant de témoignages de choix sur Cervantes.

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